Charles Munier, L'Évasion d'un prisonnier

Ecbasis cuiusdam captivi. Introduction, traduction, commentaire et tables. CNRS Éditions et Brepols, Paris et Turnhout, 1998, 231 p.

 

Hinweis: Diese Rezension übernehmen wir mit freundlicher Genehmigung aus der Revue de droit canonique (Strasbourg).

 

" Il ne convient pas que notre roi rédige un décret, intimant que soit condamné un prévenu absent, qui n'aurait pas été cité d'abord en bonne et due forme " (vers 523-524). Qui tient ce discours ? Quelque canoniste célèbre ? Non, c'est un renard. Et un autre animal déclare : " Déjà j'ai quasiment achevé de chanter le saint psautier... À la fin de chaque psaume, je me suis incliné, le genou raide " (vers 769-772). Notre collègue émérite, M. le Pr. Charles Munier, vient de publier et de traduire pour la première fois en français un poème latin médiéval, auquel il a porté un grand intérêt depuis des années, l'Ecbasis cuiusdam captivi. Il s'agit de la plus ancienne épopée animalière médiévale, soit un ancêtre du Roman de Renart. Le récit raconte l'escapade d'un veau, sa captivité dans la tanière du loup, le siège de la tanière par les amis du veau, etc. (nous tairons la fin, pour ménager la curiosité du lecteur). Mais le récit contient encore une longue fable interne, racontant l'histoire du loup daubé par le renard à la cour du lion, cette fable qui inspira Ésope, les poètes du Moyen Âge et La Fontaine. Un récit aussi énigmatique n'a pas manqué d'attiser la curiosité des chercheurs : quels personnages et quelles situations se cachent derrière ces mises en scène ? Faisant le point sur les travaux antérieurs, M. Munier a repris l'examen du dossier. Il est parvenu à un ensemble de conclusions importantes. Il a mis en œuvre sa vaste érudition pour identifier tous les détails du texte latin, animaux, topographie, objets usuels, conventuels, militaires et autres. Ainsi, il a pu identifier les lieux à partir des noms des poissons et des cours d'eau évoqués dans les discours des animaux. Cette identification l'a conduit vers un canton des Vosges, probablement le site de Moyenmoutier, qui ne lui est nullement inconnu. Il y a trois ans, par deux articles publiés dans la Revue des Sciences religieuses (avril et octobre 1995, p. 202-215, 463-480), M. Munier avait annoncé ses conclusions et surtout, par une étude très documentée, signalé les correspondances entre le poème et de nombreux aspects de la Querelle des investitures. Par cette remarquable édition du texte, il facilite l'accès à cet étrange document, il en donne une traduction agréable à lire et, dans l'introduction et le commentaire, il fournit au lecteur de nombreuses clés pour tirer le meilleur parti de cette aventure imaginaire, mais tellement révélatrice de situations historiques : style, genres littéraires, sources, etc. Étudiants, canonistes et historiens trouveront dans cette édition une initiation plaisante à l'histoire ecclésiastique médiévale, à la Règle bénédictine, aux traditions liturgiques des monastères, à la faune et à la flore d'un pays charmant, aux coutumes agricoles et alimentaires de nos ancêtres, etc. Ils pourront y découvrir un univers proche de celui de Gratien.

1

Marcel Metzger