Jean Molanus, Traité des saintes images

Introduction, traduction, notes, index et iconographie par François Boespflug, Olivier Christin et Benoît Tassel, Paris, Éditions du Cerf, 1996, 2 vol., 669 et 465 p.

 

Hinweis: Diese Rezension übernehmen wir mit freundlicher Genehmigung aus der Revue de droit canonique (Strasbourg).

 

Faut-il avoir peur des images ? Cette question traverse toute l'histoire du christianisme. À la fois théologique, canonique et esthétique, elle déchaîne les passions. Iconoclasme et iconolâtrie se livrent, depuis les origines, un combat sans fin. La tradition catholique post-tridentine n'a pas peur des images. Bien au contraire. Elle s'en fait des alliées dans la mise en place d'une pastorale de la contre-Réforme. Parmi les chauds partisans de l'usage des images se trouve Jean Vermeulen de Louvain (1533-1585), alias Molanus, chanoine et censeur des livres de Philippe II. Ce n'est pas un froid censeur ; c'est un théologien passionné. Justifiant son propos consistant à introduire des normes dans l'iconographie chrétienne alors que l'iconophobie de certains Réformateurs avait semé le trouble dans les esprits, il pose un principe herméneutique fondé sur l'analogie : " Que ce qui est interdit pour les livres l'est aussi pour les images, qui sont les livres des illettrés " (I, p. 125). Tout, ainsi, n'est-il pas dit ? Que Molanus n'est pas iconophobe et qu'il croise le fer avec, notamment, Erasme, pour justifier l'usage des images. Que l'image peut, toujours selon le principe de l'analogie, par le recours à l'allégorie et à la métaphore, permettre de pallier l'illettrisme des petites gens (I, p. 181). Que l'on doit non pas corriger ce qu'une peinture représente, mais sa signification (I, p. 207)...

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Ce faisant, Molanus définit le type même d'une attitude catholique d'autant plus équilibrée et ouverte que sa démarche n'est guère théorique et encore moins idéologique. Molanus part de ce qu'il voit. Tantôt apologue de l'image, tantôt combattant de l'orthodoxie, mais tout aussi soucieux de réforme que de compréhension, ce personnage écrit un traité à visée normative certes, mais dans lequel il dit " je " et dialogue avec artistes et théologiens. Le titre de " traité " ne doit donc pas rebuter le lecteur. Il n'est pas étonnant alors qu'un personnage tel que Molanus, qui cherche, tente et, finalement, trouve un genre littéraire propre, puisse attirer l'intérêt de chercheurs de la fin de ce xxe siècle qui aura été celui de l'hégémonie de l'image.

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Pour se lancer dans pareille entreprise critique et éditoriale, il est à supposer que les auteurs de cette remarquable édition ont dû éprouver autre chose que simplement de l'intérêt à l'œuvre de Molanus. L'actualité de cet ouvrage tombe sous le sens pour qui n'a pas oublié les querelles les plus récentes autour d'affiches de films (Larry Flint), de publicités pour des automobiles (Golf iv de Volkswagen) ou qui a suivi les polémiques outre-Manche et outre-Rhin autour des Curcifixions (1949) ou des Papes (1950) de Francis Bacon.

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Dans leur introduction - des plus apéritives ! - les auteurs de cette remarquable édition critique montrent bien la subtilité du propos théologique de Jean Vermeulen (I, 60). Le beau deuxième volume, fac-similé de l'édition latine d'Anvers de 1617, reprenant celle de 1594, c'est-à-dire une dizaine d'années après la mort de Molanus, permet d'apprécier l'excellent travail de traduction réalisé par une équipe interdisciplinaire composée d'un historien des religions et iconographe, F. Boesfplug, de la Faculté de théologie catholique de Strasbourg, d'un historien, O. Christin, , maître de conférences en histoire moderne à l'université de Nancy et d'un agrégé de philosophie, B. Tassel, enseignant à Belfort. Sympathique et compétente congrégation qui devrait inviter le théologien autant que le canoniste, le philosophe autant que l'historien ou l'ecclésiologue, l'iconographe comme le conservateur de musée à ouvrir ce Traité des images.

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Boespflug, Christin et Tassel invitent à entrer dans un lieu en lequel Molanus, fils de l'Église totalement acquis aux idées iconologiques de Trente, fait la démonstration qu'il n'en demeure pas moins un homme libre. À la fin de son traité, Molanus se fait militant : " Pour finir par une courte admonition, je vais exhorter les autres et moi-même à user des images pour notre instruction et notre édification " (I, p. 659). Que les auteurs de cette première édition critique en français soient remerciés pour avoir redonné ainsi vie au plaidoyer d'un chanoine généreux et ouvert pour la défense de l'image. Le propos du Traité des saintes images illustre à merveille le caractère indissociable de la pratique canonique et de la théologie.

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Michel Deneken