Amnon Linder, The Jews in the Legal Sources of the Early Middle Ages

Detroit, Jerusalem, Wayne State University Press, 1997, 717 p. ISBN: 0-8143-2403-7.

 

Hinweis: Diese Rezension übernehmen wir mit freundlicher Genehmigung aus der Revue de droit canonique (Strasbourg).

 

La présente publication vient compléter un précédent travail de l'auteur, publié d'abord en hébreu puis en anglais (The Jews in Roman Imperial Legislation, Detroit, Wayne State University Press, 1987), concernant les juifs dans le système légal impérial et qui se présentait sous la forme d'une compilation de décisions à caractère juridique du iie au vie s. Cet ouvrage-ci, qui lui fait suite, s'étend sur une période plus longue allant du ve au xiie s., période qui s'achève notamment, pour ce qui regarde le droit canonique , par le Décret de Gratien.

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L'objet de cet ouvrage, comme de celui qui le précède, n'est pas de procéder à une synthèse concernant le système législatif à l'égard des juifs. Il se présente plutôt comme un outil pratique : une collection de textes extraits de l'immense corpus juridique (impérial et canonique, byzantin et occidental) intéressant spécifiquement les juifs. Les choix de l'A. ont, semble-t-il, été guidés par les deux postulats suivants : le caractère légal d'un document ne dépend pas de l'instance dont il émane, on peut donc considérer comme document de type légal tout texte qui à l'époque ou durant l'histoire s'est imposé comme tel, quelle qu'en ait été la provenance. Ensuite, partant du principe que les juifs étaient citoyens à part entière, ce sont des textes formulés à leur adresse, pour combler les vides laissés par les lois générales, qui ont été sélectionnés pour être cités. L'A. a pris le parti d'élargir les citations à une partie du contexte, quand celui-ci manifestait une certaine unité thématique. Précisons que, s'agissant d'un recueil de textes légaux, l'ouvrage ne contient aucune enquête historique sur le droit coutumier (oral) ayant pu donner lieu ici ou là à des décisions non écrites concernant les communautés juives du lieu.

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Techniquement, l'A. a choisi de répartir la présentation des textes par source (textes byzantins ; textes séculiers d'Occident ; décrétales papales ; etc.) formant un ensemble de cinq grandes parties dont la matière interne, comptabilisant au total 1016 petites unités textuelles, suit un ordre chronologique. Pour ce qui regarde chaque sous-partie, un paragraphe de présentation introduit les différentes collections contenant une datation ainsi que l'histoire de la réception des textes en question. Chacun des textes cités, dans sa langue d'origine (grec ou latin) et suivi immédiatement de sa traduction anglaise, est accompagné de notices bibliographiques réduites au nécessaire, notamment aux sources ayant permis son établissement.

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L'examen comparatif des documents ainsi rassemblés permet de prendre la mesure de la complexité de la situation des juifs dans la société du haut Moyen Âge. On relève par exemple, au sujet des destinataires, des différences notables de terminologie. Elles sont la marque d'un contexte argumentatif différent, indiquant donc, chaque fois, une portée sensiblement différente. Tel texte s'adresse aux " Hérétiques, Juifs, Samaritains " (Athanasios d'Emèse 572), tel autre aux " Goths, Romains, Syriens, Grecs, Juifs " (Narbonne 589), aux " Hébreux " (Eparchikon Biblion 965), ou aux " Juifs infidèles " (Girone 1078). Pour ce qui est de la raison d'être de ces décrets, l'argument théologique est longuement développé avec force citations bibliques dans certains cas (neuf conciles de Tolède entre 589 et 694), dans d'autres il est absent (Vannes 461-491). On note par ailleurs, dans les décrétales papales, de notables variations de points de vue sur l'expulsion, le baptême forcé, la tolérance (Grégoire le Grand) vis à vis des populations juives, ou même leur protection (Alexandre II). D'autres documents encore, comme l'ensemble des conciles espagnols, sont très instructifs sur les raisons profondes de la politique religieuse ultérieure de l'Espagne, huit cents ans plus tard, sous Isabelle la Catholique.

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Outre l'excellente qualité typographique, usant de nombreux contrastes pour permette une lecture rapide et agréable, cet ouvrage, qui a nécessité un important travail de dépouillement et de traduction (nous n'avons pas contrôlé la qualité des traductions proposées par l'A.), fournit une banque de données extrêmement sérieuse, large et complète, intégrant des recherches récentes, et manifeste un réel souci d'objectivité documentaire.

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Malgré ces grandes qualités, de fond comme de forme, nous émettrons néanmoins quelques réserves sur deux points de méthode. Dans la présentation, l'A. lui-même insiste sur l'inconsistance d'une division moderne entre les sphères des pouvoirs séculier et ecclésiastique ou les domaines privé et public. Or les cinq grandes parties dans lesquelles il tente de classer l'ensemble des textes s'appuient paradoxalement sur cette qualification. Qui plus est, cela rend difficile l'étude synchronique d'un lien potentiel entre textes émanant de sources différentes mais publiés à une même époque, de même que cela entretient l'idée erronée d'une société dont les constituants internes auraient été nettement séparés et pire, sans liens réciproques. Au demeurant, l'une des problématiques que soulève cette compilation reste bien la difficulté de poser les critères de ce qui peut être reçu aujourd'hui comme document légal, notamment du fait des chevauchements de chacune de ces sphères. En réalité, une classification de type seulement chronologique et géographique aurait peut-être constitué une représentation plus juste et un outil plus fonctionnel. L'autre réserve concerne le principe du choix, dans le contexte de ce qui thématiquement n'était sensé concerner que les juifs. Bien qu'il soit presque incontournable, pareil procédé crée certainement une difficulté supplémentaire, car il réduit l'interprétation des données à celle de leurs seuls termes. Or, si ces seuls termes peuvent paraître suffisants pour l'analyse de la formulation des canons à l'intention explicite des juifs, ils ne le sont aucunement lorsqu'il s'agit de les utiliser pour tenter d'établir un descriptif général de la situation des juifs dans les sociétés concernées.

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Finalement, notre dernière remarque soulève une question beaucoup plus lourde, concernant, cette fois, la justification de l'ensemble du livre. Aborder la situation des juifs dans l'histoire sous l'angle de seules dispositions épinglées comme particulières, sans les mettre en perspective avec l'ensemble des dispositions concernant les autres populations, n'est-ce pas déjà avoir répondu arbitrairement à la question que l'on s'apprêtait à poser ?

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Yann Lohr