Valentine Zuber (dir.), Un objet de science, le catholicisme

Réflexions autour de l'oeuvre d'Émile Poulat, Paris, Bayard, 2001, 368 p. [30 € ; isbn 2227317272].

 

Hinweis: Diese Rezension übernehmen wir mit freundlicher Genehmigung aus der Revue de droit canonique (Strasbourg).

 

" Rendre à Poulat ce qui est à Poulat " pourrait résumer l'esprit d'ensemble de cet ouvrage qui rassemble les trente-deux interventions d'un colloque sur l'œuvre d'Émile Poulat qui s'est tenu à l'Université de Paris-Sorbonne en octobre 1999. Compte tenu du nombre d'intervenants au colloque, nous devrons nous contenter de signaler quelques-unes des contributions qui semblent offrir un fidèle panorama de l'œuvre considérable d'Émile Poulat.

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Il y a tout d'abord les contributions sur la " méthodologie poulatienne ", nous pensons en particulier aux interventions de Jean Séguy et de Jacques Maître, qui rappellent les débuts du Groupe de sociologie des religions (GSR), patronné par Gabriel Le Bras et Henri Desroche, au sein duquel Émile Poulat apporta une contribution déterminante.

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Nombreux sont les conférenciers (Luc Perrin, Dominique Julia, Roberto Blancarte et Jean-Paul Willaime) qui soulignent l'existence d'une méthode Poulat. Tout d'abord, on apprend en parcourant son œuvre qu'une personne peut éclairer un événement historique : Mgr Benigni, l'abbé Calippe, Loisy ou les prêtres ouvriers sont acteurs ou victimes d'un même catholicisme intégral, qui se conjugue de diverses manières (intransigeante ou sociale). Puis on remarque la grande rigueur sémantique d'E. Poulat, l'un des intervenants parlant même d'une hygiène de l'écriture. Un ouvrage d'Émile Poulat s'étudie avec un lexique précis. Enfin, la méthode Poulat se distingue par une grande indépendance d'esprit. Émile Poulat explore froidement les dossiers, se méfie des idées reçues et ne prêche pour aucune paroisse. Il demeure sans doute redevable à un certain héritage culturel, mais qui a l'oreille assez fine pour l'entendre ? Guy Lafon (dans l'ouvrage d'entretiens intitulé Le Catholicisme sous observation, 1983) demandait à Émile Poulat où allaient ses sympathies. Ce dernier répondit que cela ne regardait personne et que ses sympathies n'allaient que vers l'objet de ses recherches. La tabula gratulatoria traduit bien ce silence : des personnes que tout semble séparer composent " un paysage assez insolite " et se côtoient comme s'ils oubliaient leurs divergences le temps d'un hommage. Elle démontre combien Émile Poulat est en mesure d'intéresser au-delà des clivages et des querelles de clochers.

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À ces remarques sur la méthode, succèdent les réflexions sur les axes de recherches privilégiés par Émile Poulat. Émile Goichot, Maurilio Guasco et Luc Perrin traitent du modernisme, du catholicisme intransigeant et de l'intégralisme. Ces deux derniers termes font s'interroger Etienne Fouilloux. Il se demande ce qu'ils recouvrent et quelle est leur pertinence pour le catholicisme romain d'aujourd'hui. " L'intégralisme n'est-il pas peu ou prou inhérent à la foi, quelle qu'elle soit ? " demande-t-il. Le cardinal Gasparri, déposant au procès de canonisation de Pie X, ne disait pas autre chose aux nostalgiques de Benigni et de la Sapinière. Un débat, qui serait passionnant, résultera peut-être de cette interpellation, Émile Poulat ayant invité à trouver un terrain plus propice à cela.

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Un autre axe de recherche peut être la laïcité. Jean Baubérot, qui en enseigne l'histoire à l'EPHE, et Jean Boussinesq, de l'Union Rationaliste, tracent les grandes lignes d'une réflexion qui va de pair, nous semble-t-il, avec l'axe précédent : la laïcité se met en place d'un côté et face à elle vient se positionner un catholicisme intransigeant. C'est une scène, avec l'ensemble des acteurs, que tâche de cerner Émile Poulat. Enfin, à ces deux axes fondamentaux, on ne négligera pas d'ajouter l'intérêt porté par Émile Poulat à la politique (voir l'intervention de Philippe Portier), à l'économie (voir celle de Jean-Dominique Durand), ainsi qu'à la théologie.

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Ce qui ressort nettement de la lecture de cet ouvrage est à rapprocher finalement d'une formule de Napoléon. La religion est peut-être pour Émile Poulat " plus le mystère de l'ordre social que de l'incarnation ". Ne dit-il pas lui-même que " la religion ne se limite pas à la religion " ?

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Ces multiples mérites nous dispensent de nous attarder. L'extrême qualité de cet ouvrage réside dans le fait qu'il n'a pas été prétexte à un recueil supplémentaire, n'ayant aucun rapport avec l'objet de départ, mais bien un ensemble d'analyses rigoureuses (par des amis autant que des collègues) sur une œuvre qui force le respect (d'après le recensement effectué par Yvon Tranvouez, la bibliographie d'Émile Poulat s'élève à 581 références entre 1950 et 1999, auxquelles il y aurait lieu d'ajouter quelques 1758 recensions d'ouvrages sur des thèmes divers et variés). Il peut par conséquent constituer une solide introduction à la lecture de l'œuvre d'Émile Poulat, ainsi qu'à une historiographie sociologique et religieuse qui lui doit beaucoup.

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Laurent Kondratuk