Existe-t-il un contentieux du droit interne des religions devant les juridictions de l'Etat ?
Emmanuel Tawil
Table des matières
- La détermination expresse d'une compétence de l'Etat : la consécration d'une procédure spécifique
- § 1 La détermination conventionnelle d'une procédure en matière matrimoniale
- 1) L'exequatur en matière d'annulation de mariage en Espagne
- 2) L'exequatur en matière d'annulation de mariage en Italie
- § 2 Le recours pour abus devant le Conseil d'Etat dans le droit local d'Alsace-Moselle
- § 3 Les autres exemples de procédures spécifiques
- La reconnaissance implicite d'une compétence des juridictions de l'Etat pour connaître des droits de caractère civil
L'Etat étant souverain, il a la compétence de sa compétence : il peut donc déterminer lui-même l'étendue des prérogatives de ses organes. Au regard de la souveraineté de l'Etat, celui-ci dispose de la faculté de prévoir un contrôle de l'ensemble de l'activité des collectivités religieuses. Tout comme il peut décider de limiter la compétence de ses organes. Le professeur McClean rappelle ainsi que, " selon la doctrine constitutionnelle anglaise de la souveraineté du Parlement, toute église est soumise au pouvoir ultime du Parlement "1. |
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S'agissant de l'étendue de la compétence des juridictions de l'Etat pour connaître des litiges internes aux collectivités religieuses, trois types de situation sont envisageables. En premier lieu, l'Etat peut décider qu'il est incompétent pour trancher de tels litiges. Telle semble avoir été la position de l'Empereur Constantin. La tradition rapporte que Constantin, au moment du Concile de Nicée, fut saisi par des évêques qui voulaient lui soumettre un litige. Constantin refusa d'en connaître : " Vous ne pouvez être jugés par personne, répondit-il, parce que vous êtes réservés au jugement de Dieu "2. Une seconde attitude serait de considérer que les juridictions de l'Etat sont compétentes pour connaître de l'ensemble du contentieux interne aux collectivités religieuses. Une telle situation se présenta à l'époque carolingienne3. C'est une telle attitude que manifestèrent les princes protestants du 16ème siècle en fondant des Eglises nationales ou établies. La même logique inspirait également les Parlements français, puis le Conseil d'Etat au 19ème siècle, lorsqu'ils se prononçaient sur des appels comme d'abus. Une troisième attitude consiste à adopter une position médiane. Les litiges qui intéressent directement la puissance publique sont tranchés par les juridictions de l'Etat. Et, quant aux litiges qui n'intéressent pas l'Etat, les juridictions civiles sont incompétentes : l'affaire relève exclusivement de la collectivité religieuse. C'est cette troisième position qui est actuellement mise en œuvre dans les Etats membres de l'Union européenne. |
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Les collectivités religieuses produisent des règles juridiques auxquelles sont soumis leurs membres. Ces droits et disciplines internes sont évidemment fort divers. Comme le souligne Francis Messner, " il est préférable [...] de nommer ces statuts religieux conformément aux règles fixées par chaque religion : discipline des Eglises protestantes, droit hébraïque, règles bouddhiques, droit hindouiste et droit musulman, droit canonique catholique, droit canonique orthodoxe, droit canonique anglican "4. Ce sont ces droits et disciplines internes aux collectivités religieuses que l'on désigne par la formule générique de droit interne des religions5. Par juridiction, on désigne l'organe chargé d'exercer le pouvoir de juger, c'est-à-dire de trancher, sur la base du droit, avec force exécutoire, les contestations qui s'élèvent à propos de l'existence ou de l'application des règles juridiques6. Les formules juridiction de l'Etat et juridiction étatique seront utilisées comme synonymes. Elles désignent les juridictions crées par l'Etat et relevant du droit produit par les organes de l'Etat, quant à leur statut, la détermination de leur compétence et la fixation des procédures applicables. Ces juridictions de l'Etat doivent être distinguées des juridictions internes aux collectivités religieuses. Cette formule renvoie à tout organe chargé de trancher des litiges selon une forme contentieuse ou quasi-contentieuse, créé par une collectivité religieuse, et relevant du droit interne de cette collectivité quant à son statut, la détermination de sa compétence et la fixation des procédures applicables7. La distinction entre juridiction étatique et juridiction ecclésiastique est a priori simple et précise. Mais il arrive que des juridictions ecclésiastiques soient des juridictions de l'Etat8. |
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Nombreuses sont les décisions des juridictions étatiques faisant référence à des normes de droit interne des religions. Ainsi, les juridictions de l'Etat peuvent être conduites à prendre en compte le droit interne des religions dans le cadre de leur appréciation des faits9. Une place particulière doit être faite à ce que l'on peut appeler le contrôle de l'identité. Le juge de l'Etat y est conduit à se prononcer sur l'identité d'une collectivité religieuse : le juge doit alors déterminer si une personne morale, ou un ministre du culte, relève d'une religion déterminée10. Par exemple, lorsque le juge français se prononce sur un conflit d'attribution d'édifice cultuel revendiqué par plusieurs collectivités religieuses, il tranche ce litige en contrôlant l'identité de ces collectivités, ce qui implique la prise en compte du droit interne des religions. Le juge se fonde ainsi sur le droit canonique pour déterminer si des prêtres et des fidèles sont catholiques11. |
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Mais dans ces diverses situations, les juridictions de l'Etat n'appliquent pas le droit interne des religions en tant que règle de droit. |
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Il ne peut exister, devant les juridictions de l'Etat, un contentieux du droit interne des religions que si les juridictions de l'Etat se reconnaissent compétentes afin de trancher un litige au regard de normes de droit interne des religions. |
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La compétence des juridictions de l'Etat pour connaître du contentieux du droit interne des religions est parfois déterminée de manière expresse. C'est le cas lorsqu'une procédure spécifique est prévue par le législateur de l'Etat. En l'absence d'une telle procédure, les juridictions de l'Etat ne sont compétentes que dans la mesure où le litige implique un droit de caractère civil12. |
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I. La détermination expresse d'une compétence de l'Etat : la consécration d'une procédure spécifique |
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Les juridictions de l'Etat sont compétentes pour connaître du contentieux du droit interne des religions lorsque cette compétence résulte de la détermination, par l'Etat, d'une procédure spécifique. |
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Plusieurs procédures spécifiques existent. Certaines sont fréquemment mises en œuvre. Tel est le cas des procédures prévues, à la suite d'un accord conclu avec le Saint Siège, afin de donner un effet civil aux décisions de dissolution ou d'annulation de mariage prononcées par l'Eglise catholique. |
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Une autre procédure est particulièrement importante, par son champs d'application et ses conséquences : le recours pour abus devant le Conseil d'Etat, prévu par la législation d'Alsace-Moselle. |
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Enfin, il faut mentionner l'existence d'autres procédures spécifiques, dont le champs d'application est moindre. |
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§ 1 La détermination conventionnelle d'une procédure en matière matrimoniale |
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Il est parfois admis que les décisions des tribunaux de l'Eglise produisent des effets civils directement, sans qu'il soit nécessaire de les soumettre au préalable aux tribunaux étatiques. Ainsi, le Code civil portugais et le concordat réservent " aux tribunaux ecclésiastiques la connaissance des affaires concernant la nullité du mariage catholique et la dispense en cas de mariage non consommé. [Est établie] l'efficacité interne immédiate (c'est-à-dire sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'exequatur) des jugements de ces tribunaux "13. |
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Mais, en général, lorsque les Etats concordataires admettent que les décisions des collectivités religieuses en matière d'annulation ou de dissolution de mariage produisent des effets civils, il est prévu une procédure spécifique devant les tribunaux étatiques. |
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Plusieurs Etats concordataires admettent les effets civils des décisions des tribunaux de l'Eglise catholique en matière d'annulation de mariage. |
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1) L'exequatur en matière d'annulation de mariage en Espagne |
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L'article 6 de l'accord sur les affaires juridiques signé le 3 janvier 1979 entre le Saint Siège et le Royaume d'Espagne prévoit la reconnaissance des effets civils d'une décision de déclaration de nullité prononcée par les tribunaux de l'Eglise catholique. : " Les conjoints, en vertu des dispositions du Droit canonique, pourront se présenter aux tribunaux ecclésiastiques en sollicitant une déclaration de nullité[...]. Sur sollicitation de n'importe laquelle des parties, lesdites résolutions ecclésiastiques auront une efficacité dans l'ordre civil, si elles sont déclarées conformes au droit de l'Etat par une résolution du tribunal civil compétent ". Cette compétence appartient, en vertu des dispositions du droit commun, aux tribunaux de la famille ou à ceux de première instance14. |
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Il y a désormais une compétence spécifique des juridictions espagnoles pour connaître des décisions des tribunaux de l'Eglise afin de leur accorder, ou de leur refuser, l'exequatur. Cette compétence est une innovation par rapport au système antérieur à 1979. En effet, dans le système du concordat de 1953 et de la loi de 1958 " la juridiction canonique était pratiquement insérée dans le système judiciaire espagnol, en constituant une juridiction spéciale[...]. Les jugements de nullité rendus par les tribunaux ecclésiastiques étaient exécutés civilement sans aucun contrôle de la part de la juridiction civile. Il suffisait de la présentation du jugement canonique exécutif pour que l'on lui concède l'efficacité civile, en l'inscrivant automatiquement dans le Registre et en produisant tous les effets "15. |
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Depuis 1979, est prévue une compétence des juridictions étatiques espagnoles pour contrôler les décisions des tribunaux de l'Eglise catholique. Il y a désormais " un contrôle de la part du juge civil qui peut refuser l'efficacité civile du jugement ecclésiastique "16, en cas de contrariété de la décision au droit de l'Etat. |
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2) L'exequatur en matière d'annulation de mariage en Italie |
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En Italie, le concordat du Latran, de 1929, avait reconnu les effets civils d'une décision ecclésiale prononçant l'annulation d'un mariage. La décision ecclésiale était rendue effective dans l'ordre civil à la suite de l'intervention de la Cour d'appel qui, par le prononcé d'un arrêt rendait la sentence exécutoire. Le rôle de la juridiction étatique devait rester purement formel, de sorte que " la valeur de l'intervention de la Cour d'appel était, dans le fond, celle d'une simple prise d'acte. [...] Le principe sur lequel se basait le système matrimonial concordataire était le principe de l'automaticité des effets civils des mariages canoniques aussi bien que des sentences ecclésiastiques de nullité "17. |
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Mais l'évolution de la jurisprudence italienne a conduit à une transformation radicale de la nature de l'intervention des juridictions étatiques. La sentence n°18 de 1982 de la Cour constitutionnelle italienne, en qualifiant expressément la procédure se déroulant devant la Cour d'appel en matière de sentence de nullité d' " exequatur ", a renforcé le rôle de celle-ci, notamment quant au contrôle exercé sur la décision des tribunaux d'Eglise18. |
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Cette compétence de la Cour d'appel a été précisée par les accords de révision du concordat. Elle doit, lorsqu'elle est saisie d'une requête tendant à donner des effets civils à une décision des tribunaux de l'Eglise, se prononcer par une sentence. La Cour d'appel ne peut pas réexaminer l'affaire au fond, mais elle est compétente pour contrôler :1) la compétence de la juridiction canonique ; 2) le respect des droits de la défense ; 3) le respect de l'ordre public italien ; 4) le respect de la chose jugée par le juge italien ; 5) l'absence de cause pendante devant le juge italien pour le même objet, entre les mêmes parties19. |
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Les effets civils d'une décision pontificale prononçant la dissolution d'un mariage valide sont reconnus dans l'ordre juridique espagnol. |
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L'article 6 de l'accord de 1979 sur les affaires juridiques dispose : " Les conjoints, en vertu des dispositions du droit canonique, pourront [...] solliciter une décision pontificale sur le mariage non consommé. Sur sollicitation de n'importe laquelle des parties, lesdites résolutions auront une efficacité dans l'ordre civil, si elles sont déclarées comme étant conformes au droit de l'Etat par le tribunal civil compétent ". |
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Un chef de compétence des juridictions étatiques est donc ainsi expressément prévu par les dispositions du concordat : les effets civils d'une dispense de mariage non consommé sont subordonnés au contrôle de la juridiction étatique. |
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La procédure à suivre devant les juridictions étatiques, afin d'obtenir l'homologation de la décision romaine est la même que celle suivie lors de l'homologation d'une décision prononçant la nullité d'un mariage 20. |
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Le rôle des juridictions de l'Etat doit rester limité. En effet, en aucun cas il n'est possible de rendre des jugements au fond 21. |
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§ 2 Le recours pour abus devant le Conseil d'Etat dans le droit local d'Alsace-Moselle |
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Dans les trois départements d'Alsace et de Moselle où la procédure de recours pour abus est toujours en vigueur22, le Conseil d'État est compétent pour connaître des abus ecclésiastiques. Mais sont irrecevables les recours dirigés contre des actes intervenus en matière purement spirituelle. La jurisprudence et la doctrine ont précisé le champs d'application du recours pour abus et du recours pour excès de pouvoir. |
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Le recours pour abus peut être dirigé contre divers types d'actes des autorités ecclésiastiques. |
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Pour qu'un acte d'une autorité ecclésiastique puisse être contrôlé dans le cadre de la procédure de recours pour abus, il ne suffit pas de constater la qualité de son auteur. Jacques de Lanversin précise ainsi que " si les ecclésiastiques appartenant à toute religion peuvent être objet de recours pour abus, tout ecclésiastique ne peut pas toujours être l'objet de ce recours. Autrement dit, le caractère sacré de la personne ne suffira pas à ouvrir la juridiction d'abus. Les actes qu'un ecclésiastique accomplit indépendamment de sa fonction religieuse tombent sous l'application du droit commun et seuls ceux accomplis en qualité de ministre d'un culte ouvrent le recours. Il convient donc - et le droit public moderne nous a familiarisé avec ces distinctions - de rechercher si, au moment de l'accomplissement de l'acte incriminé, l'auteur agissait comme ministre du culte ou comme simple particulier "23. |
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Le recours pour abus ne peut pas être mis en œuvre lorsqu'il s'agit de contester les décisions des autorités ecclésiastiques intervenant dans des matières purement spirituelles. La doctrine a toujours été unanime sur ce point24. |
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Le recours pour abus est irrecevable lorsqu'il est formé contre une peine canonique. Ainsi, le Conseil d'État a rejeté le recours formé par un prêtre contre une décision de l'évêque lui interdisant de dire la messe et de porter le costume ecclésiastique25. |
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Ces principes sont évidemment toujours applicables au recours pour abus. Ils sont d'ailleurs renforcés par le principe de laïcité. Toutefois, il convient de rappeler que leur mise en œuvre au siècle dernier a donné lieu à plusieurs interventions du Conseil d'État en matière sacramentelle, alors qu'il aurait du rester étranger à ce type de litiges. Ainsi le Conseil d'État a-t-il accepté de déclarer abusif un refus d'administrer le baptême à un enfant26 ou un refus de sépulture27. Mais ces cas restent rares, ces recours ayant été en général rejetés. |
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§ 3 Les autres exemples de procédures spécifiques |
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Il existe de nombreux exemples de procédures spécifiques déterminées unilatéralement par l'Etat. |
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De telles procédures existent en Angleterre. Mais, la France, même en régime de séparation, a adopté une procédure spécifique de règlement de certains litiges. |
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Plusieurs procédures contentieuses spécifiques sont prévues en Angleterre, afin de contrôler certains actes des autorités de l'Eglise d'Angleterre28. |
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Mais une des procédures les plus notables est prévue par les Cathedral Measures de 1963 et de 1976. |
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Les projets de statuts des cathédrales, et les modifications de ceux-ci sont préparés par la Commission des statuts des cathédrales. Sous le régime de la Mesure de 1976, la commission peut seulement préparer un projet de statut après consultation des autorités délibérantes compétentes de l'église cathédrale, ainsi que de diverses autres personnes, notamment de l'évêque. La préparation du projet doit également être rendue publique dans le diocèse. |
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La Commission des statuts des cathédrales examine ensuite les communications qui lui sont adressées, et, si elle le juge nécessaire, amende le texte. |
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Le projet de statut doit ensuite être soumis aux autorités compétentes du diocèse (assemblée délibérante et évêque), qui doivent l'approuver. Une fois le projet approuvé, la Commission doit le soumettre au Synode général, qui peut soit l'approuver, soit le rejeter. S'il est accepté, le texte doit être mis en vigueur par un Order in Council, adopté par le souverain en Conseil privé. |
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C'est à ce moment qu'il est possible de contester le projet de statut devant le Comité judiciaire du Conseil privé. Ce droit de recours est ouvert à toute personne ayant adressé une communication écrite lors de la préparation du projet. Le Comité judiciaire du Conseil privé peut soit accueillir le recours, soit le rejeter, soit renvoyer le projet devant la Commission des statuts des cathédrales29. |
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L'article 8 de la loi du 9 décembre 1905 prévoit expressément une compétence du Conseil d'Etat pour connaître de certains litiges relatifs à la dévolution des biens aux associations cultuelles. Il s'agit là d'une dérogation aux règles de droit commun de répartition des compétences juridictionnelles telles qu'elles résultent du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires30. |
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L'article 4 de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat prévoyait que dans le délai d'un an, les biens des anciens établissements publics du culte seraient transférés aux associations cultuelles. En cas de litiges entre plusieurs associations cultuelles qui revendiqueraient ces biens, l'article 8 de la loi de 1905 prévoit que le conflit doit être porté devant le Conseil d'Etat. Il en est notamment ainsi en cas de scission, de création d'association cultuelle nouvelle ou de nouvelle délimitation des circonscriptions ecclésiastiques. |
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Ce principe a été rappelé par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 25 juin 1943, Eglise réformée évangélique de Marseille. Le Conseil affirmait ainsi que " l'attribution des biens qui ont appartenu à un établissement public du culte et qui, en exécution de l'art. 4 de ladite loi, ont été transférés par les représentants légaux de cet établissement à une association formée pour l'exercice du même culte, peut être ultérieurement contestée en cas de scission dans l'association nantie "31. |
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II. La reconnaissance implicite d'une compétence des juridictions de l'Etat pour connaître des droits de caractère civil |
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Lorsque l'Etat ne prévoit pas de procédure spécifique, ses juridictions ne sont compétentes que dans la mesure où le litige met en cause un droit subjectif de caractère civil, c'est-à-dire un droit subjectif qui relève du droit de l'Etat, ou qui peut être rattaché au domaine de compétence de l'Etat. A l'inverse, si le litige met en cause des droits subjectifs par nature extérieurs au domaine de compétence de l'Etat, ses juridictions ne sont pas compétentes. |
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Ce principe trouve son origine dans l'histoire du droit canonique occidental. Il se traduit aujourd'hui par le canon 1401 du Code de droit canonique de 1983, qui affirme que " de droit propre et exclusif, l'Eglise connaît : |
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1° des causes qui regardent les choses spirituelles et celles qui leur sont connexes. |
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2° de la violation des lois ecclésiastiques et de tous les actes qui ont un caractère de péché, en ce qui concerne la détermination de la faute et l'infliction de peines ecclésiastiques ". |
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Une telle analyse reste également pertinente au regard du droit étatique dans la mesure où dans de nombreux Etats, la doctrine et la jurisprudence se réfèrent expressément à un tel critère. Dans les Etats où une telle analyse n'est pas clairement affirmée, il est possible d'analyser la jurisprudence en appliquant cette grille d'analyse. |
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A. La référence à la notion de droit subjectif de caractère civil en droit comparé |
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On peut trouver une référence à la notion de droit civil en droit belge et en droit français. |
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La jurisprudence belge a clairement posé le principe selon lequel les juridictions de l'Etat ne sont compétentes pour connaître d'un litige impliquant le droit interne des collectivités religieuses que si ce litige implique un droit subjectif de caractère civil. |
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Une récente affaire illustre ce principe. |
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Un prêtre catholique ayant été révoqué par l'évêque de Tournai, il saisit les juridictions de l'Etat belge. Dans son arrêt du 7 décembre 1993, la Cour d'appel avait accepté de se prononcer au fond, considérant que " la contestation litigieuse a pour objet un droit civil ". |
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Dans son pourvoi en cassation dirigé contre l'arrêt de la Cour de Mons, l'évêque contestait la compétence des juridictions étatiques. Il affirmait que " l'action qui tend, non pas au paiement de traitements ou de leurs équivalents, mais à faire dire pour droit que la décision [de l'évêque] de retirer [au curé] 'toute juridiction dans le diocèse de Tournai', n'introduit pas une contestation relative à des droits civils [...] ou à des droits politiques ; qu'en effet, un ministre du culte n'a aucun droit civil, ni même politique, à l'exercice d'une juridiction ecclésiastique ou charge pastorale de sorte qu'une contestation à propos de la procédure suivie pour sa révocation, cette dernière entraînerait-elle, même la privation du droit aux traitements, n'est pas un litige sur des droits civils ou politiques ". |
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La Cour de cassation a reconnu la compétence des juridictions judiciaires belges pour connaître du litige, car celui-ci met en cause un droit de caractère civil. Dans son arrêt du 20 octobre 1994, la Cour de cassation relevait " que l'arrêt [de la Cour de Mons] constate : 1°que la demande du [prêtre révoqué] tend à 'dire pour droit que la décision prise par [l'évêque] consignée dans la lettre à lui adressée le 17 novembre 1990, n'est pas régulièrement prise', 2°) que dans cette lettre [l'évêque] a informé [le prêtre révoqué] qu'il ne devait plus figurer sur les états de traitements et 3°) que depuis janvier 1991, le [prêtre révoqué] est privé de son traitement en raison de l'acte litigieux qui émane [de l'évêque] ; qu'il relève, dès lors que le droit du [prêtre révoqué] au traitement, droit civil, a été affecté par la décision litigieuse ". |
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La Cour de cassation en déduisait que les juridictions judiciaires sont compétentes pour connaître du litige32. |
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En France également, le critère du droit de caractère civil peut rendre compte de la jurisprudence. Quelques exemples relatifs au champ d'application de la législation du travail sont particulièrement intéressants. |
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Ainsi, le lien entre un ministre du culte et la collectivité religieuse à laquelle il appartient n'est pas fondé sur un contrat de travail. La Chambre sociale de la Cour de cassation l'a rappelé dans un arrêt du 20 novembre 1986, Carlier c/ Union Nationale des Associations Cultuelles de l'Eglise Réformée de France, en soulignant que " les pasteurs de l'Eglise Réformée de France ne [concluent] pas, relativement à l'exercice de leur ministère un contrat de travail avec les associations cultuelles légalement établies "33. Aucun droit de caractère civil n'est impliqué. Dès lors les juridictions de l'Etat ne sont pas compétentes pour en connaître. |
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De même, les juridictions de l'Etat ne peuvent connaître des litiges opposant un religieux ou un clerc à l'établissement catholique dans lequel il exerce. En effet, comme le souligne la Cour d'appel de Chambéry il n'existe pas " de lien contractuel entre l'enseignant non laïc et l'établissement dans lequel il exerce "34. Faute de lien contractuel relevant du Code civil, il n'existe aucun droit de caractère civil dont la lésion puisse être contestée devant les juridictions de l'Etat. |
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Au contraire, les juridictions judiciaires acceptent de connaître d'un conflit opposant une enseignante d'une école privée catholique sous contrat qui, ayant divorcée, s'est remariée civilement35. Une telle situation se justifie par le fait que le contrat liant l'établissement et l'enseignant se situe dans un cadre de droit étatique. On peut considérer qu'un droit de caractère civil est impliqué dans la mesure où le contrat est considéré comme un contrat de travail. En effet, le lien entre l'établissement catholique et l'enseignante est fondé sur " une convention par laquelle une personne s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre, sous la subordination de laquelle elle se place en tant que nécessaire, moyennant une rémunération "36. |
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Les juridictions de l'Etat peuvent également connaître du litige opposant un professeur de la Faculté libre de théologie protestante de Montpellier aux autorités de l'Eglise réformée de France l'ayant nommé puis révoqué, et cela bien que la discipline de l'Eglise protestante prévoit que leur sont appliquées les dispositions régissant le statut des pasteurs. La Cour de cassation considère ainsi " que si la discipline de l'Eglise Réformée de France prévoit en son article D-13-5, que les règles qui régissent le statut des pasteurs sont applicables aux professeurs de théologie, elle n'impose pas à ceux-ci de recevoir la consécration-ordination ; qu'il s'ensuit que les fonctions des intéressés ne relèvent pas du ministère pastoral, et que, dès lors [il n'est pas possible] d'assimiler les professeurs de théologie aux ministres du culte pour en déduire que les dispositions du Code du travail ne peuvent leur être appliquées "37. Le lien entre un professeur de théologie et l'université libre qui l'emploie est donc fondé sur un contrat de travail. En ce sens, le litige pouvant s'élever entre les parties au contrat présente un caractère civil. |
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La jurisprudence du tribunal administratif de Strasbourg relative à la suspension et à la mise à la retraite des ministres des cultes reconnus peut également être analyser au regard du critère du droit subjectif de caractère civil. |
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Ainsi, dans un jugement du 29 octobre 1987, le tribunal administratif de Strasbourg s'est-il reconnu compétence pour connaître d'une décision de suspension d'un pasteur prononcée par le directoire de l'Eglise de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine. Le Tribunal administratif fonde sa décision sur le " statut et [les] compétences conférés par le décret du 26 mars 1852 [et sur] la procédure à caractère administratif instituée par l'arrêté du 10 novembre 1852 ". |
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Mais le contrôle du juge administratif ne peut porter que sur le respect du droit étatique par les organes de la confession d'Augsbourg. Le juge vérifie ainsi que la procédure prévue par les textes ait été respectée. En aucun cas le juge administratif ne saurait contrôler " l'appréciation portée par le directoire sur l'aptitude [d'un pasteur] à exercer des fonctions pastorales "38. |
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S'agissant de l'Eglise orthodoxe de Grèce, qui est, aux termes de l'article 3 de la Constitution, " Eglise dominante ", les juridictions de l'Etat sont compétentes dans la mesure où est impliqué un droit civil. Mais la notion est particulière large, dans la mesure où l'Etat a une compétence fort étendue pour régir l'Eglise orthodoxe, élaborant son statut par voie législative. |
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C'est ainsi qu'il existe un contrôle du Conseil d'Etat sur les actes des organes de l'Eglise orthodoxe, cette compétence découlant de la Constitution39. Comme le souligne le professeur Charalambos Papasthatis, " tous les actes des organes auxquels l'Etat a confié l'administration de l'Eglise orthodoxe sont susceptibles de son contrôle en annulation "40. Cette compétence concerne l'ensemble des actes de l'Eglise ayant un caractère administratif. |
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Mais la jurisprudence du Conseil d'Etat considère que les actes ayant trait aux questions spirituelles ou rituelles ne peuvent faire l'objet d'un contrôle de l'excès de pouvoir. Ces actes relèvent de la compétence des tribunaux de l'Eglise orthodoxe. Les décisions des juridictions ecclésiastiques ne sont pas soumises au contrôle des juridictions civiles41. On peut analyser cette jurisprudence au regard du droit comparé, en considérant que les matières spirituelles ou rituelles n'ont pas de caractère civil, ce qui paraît être une évidence. Ainsi, dans sa décision 2976/1996 de 1996, le Conseil d'Etat grec a-t-il refusé de connaître d'une requête relative à l'interdiction de recevoir la communion prononcée par le Saint Synode, au motif que cette question est purement spirituelle et échappe à sa compétence42. |
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B. La différence d'appréciation du droit subjectif de caractère civil selon que le litige implique une Eglise établie ou une autre collectivité religieuse |
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Lorsqu'il existe une Eglise établie dans un Etat, il y a une différence d'appréciation du droit subjectif de caractère civil selon que le litige implique l'Eglise établie ou une collectivité religieuse non établie |
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L'établissement des Eglises d'Ecosse et d'Angleterre est défini par Francis Lyall et David McClean comme signifiant " que chaque citoyen est regardé comme ayant des droits dans ces Eglises "43. Dès lors, il est normal que l'appréciation du caractère civil du droit subjectif impliqué dans le litige soit différente selon qu'il s'agit de l'Eglise établie ou d'une autre collectivité religieuse. |
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S'agissant de l'Eglise d'Angleterre, la jurisprudence n'a pas clairement établi de principe comparable à ceux posés par la jurisprudence et les textes législatifs concernant l'Eglise d'Ecosse. |
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En Angleterre, s'agissant d'une Eglise non établie, le principe est que les juridictions ne peuvent intervenir que pour " protéger un droit ou intérêt civils "44. |
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Lorsque l'affaire concerne l'Eglise d'Angleterre, les juridictions civiles ordinaires anglaises acceptent de connaître de certains litiges qui, dans des Etats continentaux, ne pourraient faire l'objet de contentieux devant un juge de l'Etat. Ainsi, le Conseil privé de la Reine a-t-il accepté de connaître en appel d'une décision d'une juridiction de l'Eglise d'Angleterre intervenue dans une affaire relative à un refus de baptême45. Mais les juridictions se refusent à connaître des affaires dans lesquelles les parties ne peuvent pas revendiquer un droit subjectif. Il est admis que les juridictions civiles n'ont aucune compétence en matière de doctrine ecclésiastique. Le Conseil privé a posé le principe qu'il n'" a aucune compétence en matière de foi ni pour déterminer [...] ce qu'est la doctrine de l'Eglise d'Angleterre "46. |
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Il faut distinguer la situations de l'Eglise établie de celle des autres collectivités religieuses. |
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a) La situation de l'Eglise établie |
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Dans un arrêt de 1839, la Chambre des Lords, saisie d'une affaire impliquant l'Eglise d'Ecosse, souligna que les juridictions civiles étaient compétentes pour contrôler les juridictions de l'Eglise, mais seulement dans les matières ou un droit civil était impliqué47. Mais la définition de ce qu'est un droit civil est incertaine, floue. Le juge Hope considérait, dans une opinion rédigée pour la Court of Session en 1849 que " dans les matières relevant clairement de la connaissance des fonctionnaires ou des juridictions de l'Eglise, en tant que soumis à la censure de l'Eglise [...], lorsque les juridictions exercent alors les prérogatives qui leur appartiennent [...], ces juridictions et leurs fonctionnaires ne peuvent pas être assignés devant une juridiction civile pour une faute alléguée. Ils ont été investis d'un pouvoir séparé "48. Mais, il a été parfois affirmé que déterminer si une juridiction d'Eglise intervient dans son domaine de compétence ou en dehors de son domaine de compétence appartient à la juridiction civile49. |
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La notion de droit civil apparaît également dans le Church of Scotland Act de 1921, dont l'article 3 dispose que " sous réserve de la reconnaissance des matières régies dans les Declaratory Articles en tant que matières spirituelles, rien dans cet Act n'affecte ou ne porte préjudice à la compétence des juridictions civiles en relation avec n'importe quelle matière de nature civile ". |
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b) La situation des collectivités non établies |
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S'agissant des Eglises non établies, en cas de litige interne, la doctrine et la jurisprudence considèrent qu'en principe les juridictions de l'Etat sont incompétentes. Mais la compétence des juridictions étatiques est possible en cas de " violation majeure " des règles du droit interne de la collectivité religieuse ou si ces règles ont été appliquées dans une intention délictueuse50. La Court of Session, sous la plume de Lord Aitchison, dans l'arrêt McDonald v. Burns de 1940 soulignait ainsi que " la discipline interne [d'une église non établie] est une question purement interne, bien que des textes législatifs ou des droits de caractères civils puissent être impliqués. Et c'est seulement dans des circonstances extraordinaires que les juridictions vont accepter d'en connaître"51. |
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Lord Aitchison précisaient quelles étaient ces circonstances dans lesquelles les juridictions écossaises sont compétentes : " De manière générale, [ces circonstances] sont au nombre de deux. En premier lieu, quand l'association religieuse au travers de ses organes a agi clairement et manifestement en dehors de sa propre constitution, et d'une manière délibérée pour affecter les droits civils et les intérêts patrimoniaux de l'un de ses membres. En deuxième lieu, quand, bien qu'agissant dans le cadre de sa constitution, le déroulement de la procédure devant ses tribunaux judiciaires ou quasi-judiciaires a été marqué par une grave irrégularité, si fondamentale qu'elle aurait, dans le cas d'un tribunal civil ordinaire, été suffisante pour vicier la procédure. Mais une simple irrégularité de la procédure n'est pas suffisante. Il doit s'agir d'une irrégularité si fondamentale qu'elle dépasse une simple question de procédure et devienne quelque chose de préjudiciable à un procès juste et équitable, de manière à aboutir à un déni de la justice naturelle. C'est le cas par exemple, si la condamnation pour un délit ecclésiastique avait lieu sans une accusation préalable, ou sans que la personne accusée ait été autorisée à être entendue. Dans ce cas, l'irrégularité n'est pas seulement une question de forme ou une violation de la réglementation prescrite, mais porte atteinte à l'honnêteté et à l'intégrité de la procédure "52. |
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Les juridictions de l'Etat peuvent connaître du droit interne des religions. Elles sont compétentes, évidemment, lorsqu'une procédure est expressément prévue pour un type de contentieux (exequatur des décisions d'annulation ou de dissolution prononcées par l'Eglise catholique, recours pour abus devant le Conseil d'Etat...). Les juridictions étatiques sont également compétentes dans la mesure où un litige implique un droit de caractère civil. |
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La mise en œuvre du droit interne des religions par les juridictions de l'Etat pose le problème de l'autorité de l'interprétation donnée du droit interne des religions par des juridictions dont les membres ne sont formés ni à la théologie, ni au droit interne de la collectivité religieuse dont ils appliquent le droit. Le juge civil applique le droit interne des religions au regard de ses propres concepts. Ce qui peut le conduire à en dénaturer le sens et la portée. Lorsque le juge de l'Etat agit dans le cadre du contentieux du droit interne des religions, il reste néanmoins un organe extérieur à l'ordonnancement juridique religieux dont il applique le droit. Quel sens peut avoir pour les juridictions de l'Etat le canon 1752 du Code de 1983, qui rappelle au sujet des causes de transfert de curé qu'il faut toujours agir " en observant l'équité canonique et sans perdre de vue le salut des âmes qui doit toujours être dans l'Eglise la loi suprême " ? De tels organes sont-ils vraiment aptes à interpréter de telles dispositions ? |
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La réticence de l'Eglise catholique à ce que les juridictions de l'Etat mettent en œuvre le droit canonique est donc largement fondée. Se comprend ainsi la revendication de compétence exclusive résultant du canon 1401 du Code de droit canonique : " De droit propre et exclusif l'Eglise connaît [...] de la violation des lois ecclésiastiques ". |
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1 J. David MacClean, " Church and state in England 1994 ", R.E.R.E.E., 1995, p. 136.
2 Cf. Jean Werckmeister, " Le privilège du for ", R.D.C., article à paraître.
3 Id.
4 Francis Messner, " Du droit ecclésiastique au droit des religions : évolutions d'une terminologie ", R.D.C., 1997, p. 157.
5 Id.
6 Cf, les articles " judiciaire ", " juge " et " juridiction ", in Raymond Guillien et Jean Vincent, Termes juridiques, Paris, Dalloz, 10ème éd., p. 318, p. 319 et p. 325.
7 De tels organes existent dans de nombreuses collectivités religieuses. Mais il faut se garder de les appréhender de la même manière que les juridictions de l'Etat. En effet, au sein des collectivités religieuses, il n'y a généralement pas de séparation des pouvoirs. Ainsi, l'évêque catholique est investi des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Et les juridictions de l'Eglise catholique n'exercent qu'un pouvoir vicaire, soit de l'évêque, soit du Souverain Pontife.
8 Ainsi, en Angleterre et en Ecosse, les organes juridictionnels des Eglises établies sont des juridictions de l'Etat. Il n'est donc pas possible d'opposer les juridictions des Eglises aux juridictions de l'Etat, puisque les premières sont une partie des secondes. Dans ce cas, il convient d'user de la terminologie britannique et de désigner les juridictions de droit commun par l'expression juridiction civile.
9 Un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 25 septembre 1998 est particulièrement révélateur. La Cour y affirme " que le droit canonique actuel a pour objet les relations sociales existant dans l'Eglise et de nature ecclésiale et est une science à la fois de nature sacrée et juridique [...] ; que déjà avant la réforme du droit canon de 1983, ce droit entendait régler notamment la constitution de l'Eglise catholique, son administration disciplinaire et son organisation [...] ; que ce Code, en tant qu'il règle notamment les rapports entre le curé et son évêque, [...] contient des normes à caractère juridique susceptibles d'éclairer la cour qui doit en tirer, au niveau du droit belge, les conséquences utiles au règlement du litige " (C.A. Bruxelles 25 septembre 1998, arrêt n° JB40763).
10 Par exemple, sur cette possibilité, cf. Francis Lyall, Of Presbyters and Kings, Church and State in the Law of Scotland, Aberdeen, Aberdeen University Press, p. 77.
11 Par exemple, C.A. Paris 13 juillet 1977, D., p. 458 ; T.A. Amiens, 16 septembre 1986, Mgr. Labille, Leb., p. 320.
12 Une telle étude est nécessairement imparfaite. Il est impossible d'être exhaustif dans ce cadre. La documentation disponible et accessible pour les divers pays de l'Union européenne est souvent fragmentaire, ou difficile d'accès. C'est pourquoi nous privilégierons certains Etats membres de l'Union européenne : Belgique, Espagne, France, Italie et Royaume-Uni.
13 Miguel Teixeira De Sousa, " Le mariage religieux et son efficacité civile : le cas portugais ", Les effets civils du mariage religieux en Europe, Milan, éd. Giuffré, 1993, p. 64.
14 Rafael Navarro-Valls, " Le mariage religieux et son efficacité civile dans le droit espagnol ", Les effets civils du mariage religieux en Europe, op. cit., p. 45.
15 Id.
16 Id.
17 Enrico Vitali, " Le mariage religieux et son efficacité civile dans le système juridique italien", Les effets civils du mariage religieux en Europe, op. cit., p. 91.
18 Id., p. 96-97.
19 Id., p. 103-104 ; cf. également Paolo Moneta, " Le mariage dans le concordat italien de 1984 ", P.J.R., 1984, p. 268-271.
20 Rafael Navarro-Valls, " Le mariage religieux et son efficacité civile dans le droit espagnol ", p. 49.
21 Augustin Motilla, " Church and State in Spain 1996 ", R.E.R.E.E., 1997, p. 47.
22 Emmanuel Tawil, " Le recours pour abus dans les trois départements concordataires français ", R.D.C., 2000, p. 89-111.
23 Jacques de Lanversin, " L'appel comme d'abus dans la jurisprudence du Conseil d'Etat ", R.A., 1962, p. 386.
24 Emmanuel Tawil, " Le recours pour abus... ", p. 99-100.
25 C.E. 27 mars 1902, Abbé Plasse, Leb., p. 813.
26 C.E. 11 janvier 1829, Bogard, cité in Fuzier-Herman, Fuzier-Herman, Répertoire général alphabétique du droit français, Paris, 1886, tome 1, p. 186.
27 C.E. 4 janvier 1839, Montlosier, S., 1839, 2, p. 54.
28 Pour des exemples, cf. Norman Doe, The legal framework of the Church of England, Oxford, Clarendon Press, 1996, p.83.
29 Id., p. 80-81.
30 René Chapus, Droit administratif général, tome 1, Paris, Montchrestien, 14ème éd., 2000, n°1071, p. 832.
31 C.E. 25 juin 1943, Eglise réformée évangélique de Marseille, D., 1944, p. 70.
32 Cour de cassation, 20 octobre 1994, note François Rigaux, R.C.J.B., 1996, p. 119-129.
33 Cass, Soc. 20 novembre 1986, Carlier c/ Union Nationale des Associations Cultuelles de l'Eglise Réformée de France, J.C.P., éd. G., 1987, II-20798, note Thierry Revet.
34 C.A. Chambery, 15 janvier 1964, Association des familles locales privées d'Annecy contre CPSS de Haute-Savoie, D., 1964, p. 605, note Jean Dauvillier.
35 Cass, Ass. Plén. 19 mai 1978, Dame Roy c/ Association pour l'éducation populaire Sainte Marthe, J.C.P., éd. G., 1978, II-19009, rapport Sauvageot, note Lindon.
36 Cf. Gérard Lyon-Caen, Jean Pélissier et Alain Supiot, Droit du travail, coll. " Précis Dalloz ", 18ème éd., 1996, p. 100.
37 Cass, Soc. 20 novembre 1986, Union Nationale des Associations Cultuelles de l'Eglise Réformée de France c/ Dlle Fischer, J.C.P, éd. G., 1987, II n°20798, note Thierry Revet.
38 T.A. Strasbourg, 29 octobre 1987, Koelhoeffer, service doc. I.D.L.
39 Charalambos Papastathis, " Le régime constitutionnel des cultes en Grèce ", in Le statut constitutionnel des cultes dans les pays de l'Union européenne, Actes du colloque de Paris XI, 18-19 novembre 1994, Milan- Paris, Giuffré Editore- Litec, 1995, p. 154.
40 Id., p. 160.
41 Anthie Spanou, La liberté religieuse en Grèce, mém. D.E.A. Droit public, Aix-Marseille III, 2000, p. 49-50.
42 Charalambos Papastathis, " Church and State in Greece 1996 ", R.E.R.E.E., 1997, p. 31.
43 Francis Lyall and David MacClean, "The constitutional status of churches in Great-Britain ", in Le statut constitutionnel des cultes dans les pays de l'Union européenne, op. cit., p. 142.
44 Le juge Campbell, cité par Norman Doe, The legal framework of the Church of England, p. 24-25.
45 Norman Doe, The legal framework of the Church of England, 1996, p. 266-267.
46 Id., p. 259.
47 Francis Lyall, Of Presbyters and Kings, Church and State in the Law of Scotland, op. cit., p. 32
48 Id., p. 55.
49 Id., p. 56.
50 David McClean, " Etat et Eglise au Royaume-Uni", in Gerhard Robbers et al., Etat et Eglises dans l'Union européenne, Baden-Baden, Nomos, 1997, p. 337.
51 Cité par Francis Lyall, Of Presbyters and Kings, Church and State in the Law of Scotland, op. cit., p. 95.
52 Id., p. 96.