Antoinette Molinié (sous la direction de), Le Corps de Dieu en Fêtes
Paris, Éd. du Cerf, 1996, 255 p
Hinweis: Diese Rezension übernehmen wir mit freundlicher Genehmigung aus der Revue de droit canonique (Strasbourg).
Ce livre relève du genre colloque. Pour la confrontation, on peut opposer ces deux appréciations, d'une part : " À mesure que la théorie de la transsubstantiation se précise, la forme du corps de Dieu devient de plus en plus élémentaire. L'hostie oscille remarquablement entre les tendances d'immanence et de transcendance par sa forme, mais aussi grâce à un puissant appareil théologique¼ " (A. Molinié, p. 24). D'autre part : " En somme, la Fête-Dieu est née, pour une large part, de ce que la symbolique charnelle et vitale du pain avait cessé de faire partie de l'Eucharistie. Tandis que les fidèles la maintenaient dans un rite annexe, celui du pain bénit, les clercs mettaient une théorie à la place¼ Ce que l'Église propose à l'adoration des fidèles dans la Fête-Dieu, c'est la puissance du verbe des clercs qui ont produit la théorie, et le pouvoir de ceux qui en assurent la suprématie, par la force s'il le faut " (C. Macherel, p. 61). En ce qui concerne les convergences, les contributions de cet ouvrage collectif s'accordent dans la description de rites pratiqués en des lieux pourtant si distants les uns des autres : Belgique, Fribourg (Suisse), Tarascon, Séville, Mexico, Andes, etc. L'intérêt de ce volume tient surtout à l'importance de la documentation recueillie sur la célébration de la Fête-Dieu, avec un heureux lot d'illustrations, et aux analyses proposées : origine, institution et expansion de cette fête (M. Rubin), manifestations d'identité sociale en temps de chrétienté, traditions pré-chrétiennes annexées à la fête (tarasque, coups de feu, fête du " toro " et mort sacrificielle, représentations théâtrales, fête de l'Inca, etc.). Cet inventaire montre que cette fête est si périphériquement chrétienne (c'est un comble pour l'eucharistie) qu'elle a attiré à elle jusqu'aux pratiques les moins chrétiennes, dont celle-ci, atroce : dans les processions de Cuzco (Pérou) le chef indigène défilait devant le Saint-Sacrement en tenant en main, comme trophée, la tête de son ennemi (p. 16). Fait significatif, ces études ne portent que sur la procession, la messe de la Fête-Dieu se trouvant réduite à n'être que le moyen de produire l'hostie nécessaire (encore pouvait-elle provenir jadis d'une célébration antérieure !). Dans les récits étudiés aucune mention ne semble faite des éléments essentiels de la célébration eucharistique (assemblée, liturgie de la Parole, réconciliation), même la communion paraît passée sous silence, il vrai qu'il s'agit d'époques où elle n'était pas fréquente. Cette réduction subsiste même dans certaines pages du commentaire, lorsque des considérations philosophiques et psychanalytiques enfilent une suite de propos sur la rondeur de la blanche hostie, le corps nourricier, le sein maternel, les " vierges ouvrantes " et la tarasque aux attributs féminins (p. 25-27). Ces théories sont ingénieuses, mais elles n'expliquent pas la genèse de ces pratiques rituelles, issues pour partie des hasards de calendriers locaux. Dans un recueil d'études historiques, on aurait aimé trouver au moins quelques témoignages justifiant une telle compréhension, le rapprochement avec quelques uvres picturales n'est qu'allusif, rien n'est dit sur les intentions, explicites ou implicites, des réalisateurs ou de leurs commanditaires. Cette réserve ne diminue en rien l'immense intérêt de ce volume, car, outre sa substantielle contribution à l'histoire et à la sociologie des pratiques religieuses, il démontre aussi à quel point la religiosité développée à l'occasion de la Fête-Dieu paraît une excroissance du christianisme, la fête elle-même n'a rien d'indispensable, étant ignorée de l'Orient et des Églises réformées (et pour cause !). Ces faits posent une question de droit liturgique et cela de façon paradoxale. En effet ce droit a pour fondement l'ordre de réitération : " Faites ceci en mémoire de moi " (Luc 22,19). Certes, les processions décrites faisaient mémoire du Christ et avec éclat : ostension, bien sûr, mais aussi port d'images de la Passion, représentations théâtrales, etc. Cependant l'ordre du Christ porte sur le " faire ceci ", à savoir bénir, rompre et manger, c'est-à-dire célébrer le " Repas du Seigneur " (I Cor. 11, 20). Une plus grande fidélité à cet ordre du Christ, mise en uvre depuis la réforme liturgique de Vatican II, ne place pas la Fête-Dieu " au centre du monde catholique et de ses symboles " (p. 7), mais la Résurrection, célébrée chaque dimanche et, d'une manière plus extensive, à Pâques. |
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Marcel Metzger |