Les Statuts de l'enseignement religieux, sous la direction de Francis Messner et Jean-Marie Woehrling

Paris, Dalloz-Éd. du Cerf, 1996, 208 p. (coll. "  Droit des religions  ") [isbn 2-204-05334-1; 150 F]

 

Hinweis: Diese Rezension übernehmen wir mit freundlicher Genehmigung aus der Revue de droit canonique (Strasbourg).

 

Après avoir rendu compte dans un précédent ouvrage (La Culture religieuse à l'école. Enquête, prises de position, pratiques européennes, Paris, Éd. du Cerf, 1995) de la manière dont se pose la question de la culture religieuse à l'école, Francis Messner complète ce dossier sensible par une présentation actualisée des statuts de l'enseignement religieux en France et en Europe.

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L'ouvrage diffuse les contributions très techniques des spécialistes de cette matière essentielle du droit des religions telles qu'elles ont été livrées lors d'un Colloque récent à Strasbourg. Les principales disciplines juridiques concernées sont ainsi visitées et éclairées de manière sûre et précise. C'est ainsi que Jean-François Flauss présente très classiquement pour commencer "  les sources supralégislatives de l'enseignement religieux  " : sources constitutionnelles des enseignements religieux obligatoire et facultatif dans les établissements publics d'abord, sources internationales du droit de l'enseignement religieux d'autre part. Sont traitées ici les questions de la garantie pour les élèves du primaire du jour ouvrable réservé à l'enseignement religieux, le caractère propre des établissements privés sous contrat ainsi que le droit à l'organisation d'un enseignement religieux dans le cadre de l'école publique, en particulier l'invocabilité directe des dispositions conventionnelles pertinentes, le droit des parents à l'organisation d'un enseignement religieux conforme à leurs convictions, le droit à dispense mais aussi le droit de choisir des enfants.

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Les différents statuts de l'enseignement religieux à l'école sont exposés suivant trois distinctions juridiques fondamentales dans ce domaine peu vulgarisé du droit français des religions : une première distinction en fonction du caractère public ou privé des établissements, une deuxième distinction en fonction du niveau primaire, secondaire ou formation des maîtres, une troisième distinction en fonction du régime juridique général ou particulier (droit local alsacien-mosellan) dont ils relèvent. Ce sont précisément ces distinctions qui trament la complexité apparente d'un dispositif traditionnellement réservé au spécialiste. De là, les auteurs s'autorisent parfois des commentaires plus personnels, que ce soit sur la perception du droit local alsacien-mosellan en "  Vieille France  " ou sur le diagnostic d'une crise du statut scolaire et de ses causes.

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Patrice Monnot qui est avocat à Bourges rappelle le contexte dans lequel a été repensé et reformulé "  l'aménagement du temps scolaire au profit de l'enseignement religieux dans l'école primaire publique  ", de la Révolution française à la loi Falloux de 1850 puis à la laïcité de la iiie République avec Jules Ferry. Seul un examen historique très précis de l'esprit des lois à cette époque permet de comprendre les évolutions réglementaires récentes que l'auteur présente en constatant la remise en cause progressive de la stricte neutralité de l'enseignement, des locaux et du personnel de l'école publique et de l'organisation, en contrepartie, d'une journée réservée pour l'instruction religieuse. On comprend mieux les recours administratifs des évêques en 1986 et les jugements de Poitiers et d'Orléans qui s'en suivirent en 1988, la position du Conseil d'État et enfin les décrets de 1991 aménageant le compromis actuel. Pierre-Henri Prelot résume de même la situation en ce qui concerne les aumôneries dans les établissements secondaires publics. On appréciera tout particulièrement la précision de l'état des lieux qu'il dresse tant du point de vue de l'organisation que de celui des dispositions réglementaires et de l'application qui en est faite.

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Comme en beaucoup d'autres parties de l'ouvrage, on trouvera ici nombre d'informations pratiques extrêmement utiles. L'ouvrage est une mine. Une analyse plus attentive révèle certains aspects paradoxaux d'une situation juridique bien plus complexe qu'on ne l'imagine souvent : par exemple que les interprétations du Conseil d'État peuvent être contredites par la loi, ainsi du libre exercice du culte tel que le comprend le Conseil d'État en 1905 et de la loi Debré qui distingue, au contraire, liberté des cultes et liberté de l'instruction religieuse.

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Le statut de l'enseignement religieux en Alsace et en Moselle est présenté par Guy Siat (" Les écoles normales et les instituts universitaires de formation des maîtres au regard du statut scolaire local "), Jean-Louis Bonnet (" L'enseignement religieux dans les écoles primaires publiques "), Jean-Paul Pietri (" L'enseignement religieux dans les établissements secondaires publics ") et Pierre-Henri Prelot (" L'enseignement religieux dans les établissements d'enseignement privé "). L'inventaire minutieux des sources et des références bibliographiques ainsi que les commentaires toujours valables de Bernard Le Léannec trouvent ici quelques prolongements intéressants. Nul doute que le contexte d'un recul significatif de la pratique religieuse et de la fréquentation de l'enseignement religieux dans les établissements scolaires pèse de plus en plus sur l'appréciation de ces dispositions dont les auteurs ont exploré les rares nouveautés, la formation des professeurs de religion du second degré et la question de la création d'un CAPES de religion.

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Dans La Culture religieuse à l'école, Francis Messner commençait un tour d'horizon comparatif des différents statuts scolaires de l'enseignement religieux en Europe : Italie, Grande-Bretagne, Allemagne et Pologne. Rik Torf et Alexis Pauly complètent ici le tableau en brossant la situation en Belgique et au Luxembourg. Si le système belge s'est orienté, à partir de 1970, vers une diversification de ses statuts dans le cadre d'un État fédéral, le Luxembourg a conservé un arsenal de lois élaborées au xixe siècle sur fond d'un concordat datant de 1801 et de ses Articles organiques ne contenant aucune disposition particulière sur la question scolaire et l'enseignement religieux : loi de 1843 inscrivant l'instruction religieuse au programme de l'enseignement primaire communal ; loi de 1848 complétée par une instruction ministérielle en 1968 puis par la loi de 1988 organisant ce cours d'instruction religieuse (avec possibilité de choisir un cours de morale ou de se faire dispenser) au niveau post-primaire.

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En Belgique, l'équilibre idéologique et religieux dans l'enseignement public est fondé sur un pacte scolaire consacré par la loi du 29 mai 1959 dont l'article 24 garantit la liberté de l'enseignement religieux et la protection des minorités idéologiques et religieuses. R. Torfs examine la jurisprudence des tribunaux et du Conseil d'État, particulièrement importante en ce qui concerne l'intervention de l'organe ecclésiastique et le statut des enseignants de religion dans l'organisation pratique de cet enseignement religieux. Sa conclusion se veut lucide et mesurée : l'indifférence semble remplacer désormais la lutte idéologique et constitue finalement une préoccupation plus grave quant à l'avenir d'un système jugé globalement satisfaisant.

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L'ouvrage dirigé par Francis Messner et Jean-Marie Woehrling ouvre encore d'autres perspectives très actuelles avec un chapitre de Françoise Lorcerie intitulé " L'islam dans le cours de "Langue et culture d'origine" " (LCO). Ces cours dispensés à des enfants d'immigrés ont été suspectés de dérive antilaïque pour déroger au principe de non-confessionnalité de l'enseignement. F. Lorcerie reconsidère posément le dossier en rappelant son origine (la controverse sur l'intégration des musulmans à partir des années 1980, puis l'affaire du foulard en 1989, controverse agitée par des personnalités françaises jouissant d'une position de consultant du gouvernement : Bercque en 1985, Hussenet et Le Goff en 1990, etc.), puis en indiquant ses limites : il ne s'agit que d'un dispositif marginal dans l'appareil réglementaire.

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Les conclusions de Yves Madiot (Faculté de Droit de Poitiers) sont un peu celles des auteurs : la recherche d'un consensus fondé sur le pluralisme démocratique passe par une clarification du droit, car, comme ils le pensent les uns et les autres, " juridiciser le débat ", n'est-ce pas le civiliser ? En tout état de cause, l'ouvrage, on l'aura compris, est un outil incontournable par le caractère exhaustif de ses références documentaires toujours précises et le champ très large de ses approches.

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Jean-Luc Hiebel