Luc Perrin, Paris à l'heure de Vatican II

Paris, Éditions de l'Atelier, 1997, 320 p. (Églises / Sociétés)

 

Hinweis: Diese Rezension übernehmen wir mit freundlicher Genehmigung aus der Revue de droit canonique (Strasbourg).

 

Agrégé d'histoire et maître de conférences en histoire de l'Église à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg, Luc Perrin s'est attaché à retracer en détail l'évolution des pratiques et des comportements des catholiques parisiens pendant les années décisives avant, pendant et après le Concile Vatican II. Les bulletins paroissiaux du diocèse de Paris des années 50 aux années 70 constituent un corpus imposant à travers lequel se laissent saisir des évolutions profondes. Il faut rendre grâce à l'auteur pour son travail minutieux de collecte, de lecture et d'interprétation de ces sources, souvent laissées en sommeil dans les rayons du Dépôt légal de notre Bibliothèque nationale. Du croisement de ces sources avec les témoignages recueillis directement auprès des acteurs de la vie paroissiale de ces années d'après guerre, résulte une approche rigoureuse d'une histoire sans doute plus difficile à appréhender que celle de certaines périodes antérieures.

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Pourquoi Paris ? Luc Perrin inscrit son analyse dans un cadre qu'il connaît bien et où il bénéficie d'un certain enracinement. Paris constitue un foyer très important du renouveau pastoral et liturgique marquant l'ensemble de la pastorale en France. La centralisation administrative et politique générale en tout domaine est évidemment un autre facteur de la focalisation qui se laisse observer dans les activités de l'Eglise à cette époque. Mais ce Paris est finalement mal connu. Luc Perrin réinscrit les grands noms du renouveau pastoral et liturgique dans le contexte de la vie diocésaine de Paris et de sa banlieue qu'il convient d'appréhender de l'intérieur. C'est une véritable géographie des paroisses de cet archidiocèse trop vaste que reconstitue l'auteur, qui démontre l'importance des situations locales et des voisinages : St-Gervais, Notre-Dame, St-Séverin, St-Sulpice, au Centre ; Ste-Odile, St-François de Saales, Ste-Marie des Batignolles au Nord-Ouest, Notre-Dame des Otages, St-Gabriel, St-Jean-Bosco, Notre-Dame de Lourdes à l'Est, etc.

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La première partie de l'ouvrage relate les évolutions majeures qu'a connues à l'époque la société paroissiale en région parisienne. On constate les mêmes problèmes et les mêmes évolutions en province, ce qui lui donne un intérêt bien plus large que celui de l'excellente monographie qu'il constitue à tous égards. Au cœur de ces changements, la figure du prêtre apparaît centrale. Après avoir noté le changement de modèle dans la formation au séminaire - assouplissement du règlement, ouverture au monde, orientation missionnaire, Luc Perrin décrit de manière incisive et colorée la vie quotidienne de " messieurs les Curés de Paris " et cela jusqu'aux détails vestimentaires et alimentaires. Le temps vient de nouveaux modes de vie et d'une réorganisation en " presbyterium " où les prêtres forgent ensemble les moyens de mettre en œuvre les nouvelles orientations conciliaires, en particulier dans le cadre du GERPAC (Groupe d'étude et de recherche pour l'application du Concile). Les canonistes trouveront ici matière à réexamen de certaines réformes que le Concile n'engageait alors que très prudemment, laissant souvent le champ libre aux conférences épiscopales nationales.

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L'évolution du tissu paroissial traditionnel (la paroisse d'œuvres) est non seulement l'objet d'observations précisément chiffrées (jusqu'à l'excès parfois) mais d'analyses appuyées sur la recherche des spécialistes des différents domaines considérés (Adler et Vogeleisen pour la catéchèse, Cholvy, Fouilloux ou Ferroldi pour les patronages et l'Action catholique des enfants, Laneyrie et Chéroutre pour le scoutisme, etc.). Le diagnostic est formel : la paroisse d'œuvre formée à l'aube du xxe siècle vit ses derniers beaux jours ; d'autres modèles " prétendent à sa succession sans attendre l'acte de décès ". Les faveurs de la politique épiscopale (Mgr Feltin, le Cardinal Veuillot) vont en effet vers la paroisse communautaire dont St-Séverin donne l'exemple dès 1947 avec le P. Connan comme mentor. Dans les discussions pastorales, on parle de " pastorale d'ensemble ", de " paroisse station-service spirituelle " ou de " paroisse d'Action catholique ". Réforme ou révolution ? Mai 68 laisse évidemment sa marque dans les changements qui s'opèrent, souvent de manière confuse et contradictoire.

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La deuxième partie du livre est plus thématique. L'auteur passe en revue les grands points d'application des réformes conciliaires, faisant tout d'abord le point sur la réception de l'événement du Concile dans les paroisses. La réforme liturgique avec le passage " de l'assistance à la messe à la participation à l'eucharistie ", la revalorisation du chant et la généralisation du français comme langue liturgique, la pastorale des sacrements avec, entre autres, la question financière mais aussi pastorale des classes d'enterrement ou de mariage, l'œcuménisme, une " découverte tardive " qui s'essouffle vite, l'évolution de la communion solennelle vers la profession de foi, autant de pistes par lesquelles on peut revivre les changements qui vont progressivement modifier le paysage religieux en France. On est introduit de manière extrêmement documentée dans les arcanes des débats suscités par ces renouvellements, la " pastorale du délai " par exemple en ce qui concerne le baptême.

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Faut-il ajouter que l'ensemble très bien écrit se lit fort agréablement, les notes ayant été rejetées en fin de chapitre ? On regrettera peut-être l'amputation d'une troisième partie sur l'interprétation et l'expression des sensibilités réveillées par l'agitation conciliaire. Les expériences tentées ici et là traduisent-elles une sensibilité religieuse véritablement nouvelle ? Pour les clercs eux-mêmes, la question se pose : " clergé néo-moderniste ou néotridentin ? En l'occurrence, Luc Perrin reste fidèle aux conceptions dégagées par Émile Poulat quant à la résurgence d'un christianisme intégral à l'occasion du renouveau conciliaire en France. On se gardera cependant de surévaluer l'influence du Concile lui-même. La relativisation de la piété mariale, les nouvelles pratiques concernant le maigre, le réaménagement de l'espace sacré, etc. tous ces détails d'une vie religieuse en mutation profonde montrent la nécessité d'un droit canonique plus vivant et plus évolutif. Émile Poulat, dans la préface qui introduit l'ouvrage, note la curiosité de l'auteur, sa rigueur méthodologique et cette faculté rare d'opérer les bons prélèvements avant d'écrire une histoire contemporaine de l'Église en France. On pourrait ajouter : une histoire où pastorale et droit canonique continuent de jouer une partie très serrée.

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Jean-Luc Hiebel