TROISIÈME SECTION
AFFAIRE İ.B. c. TURQUIE
(Requête no 30497/96)
ARRÊT
STRASBOURG
22 décembre 2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire İ.B. c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M.
Zupančič,
président,
L.
Caflisch,
R.
Türmen,
C.
Bîrsan,
Mmes A.
Gyulumyan,
R.
Jaeger,
I.
Ziemele,
juges,
et de M.V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er décembre 2005,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 30497/96) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme İ.B. (" la requérante "), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (" la Commission ") le 2 novembre 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").
2. La requérante est représentée par Me Z.S. Özdoğan, avocat à İzmir. Le gouvernement turc (" le Gouvernement ") n'a pas désigné d'agent dans la procédure devant la Cour.
3. Le 2 février 1999, la Cour (première section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement.
4. Les 1er novembre 2001 et 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
5. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, le 30 juin 2005, la Cour a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6. La requérante est née en 1970 et réside à İzmir.
7. Le 20 avril 1995, suite à l'arrestation de son fiancé H.E. la veille, la requérante fut également arrêtée et placée en garde à vue dans le cadre d'une enquête menée par la section anti-terroriste de la direction de sûreté d'Ankara contre une organisation illégale, Ekim.
8. Le 24 avril 1995, à la demande de la direction de sûreté d'Ankara, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara (" le procureur " - " la cour de sûreté de l'Etat ") prolongea la garde à vue de la requérante, successivement jusqu'au 28 avril, puis le 2 mai 1995.
9. Le 2 mai 1995, la requérante fut conduite à l'institut médico-légal. A la suite de son examen, un rapport médical fut établi où aucune trace de violence ne fut constatée.
10. Selon la requérante, lors de sa garde à vue, elle aurait été giflée par les policiers et dû écouter l'enregistrement sonore de la séance de torture infligée à son coaccusé.
11. Toujours le 2 mai 1995, la requérante fut traduite devant le procureur, puis devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l'Etat.
12. Devant le juge assesseur de la cour de sûreté de l'Etat, la requérante nia les accusations portées contre elle et déclara n'avoir jamais participé à une quelconque activité d'Ekim. Elle contesta le contenu de sa déclaration déposée à la police ainsi que le procès-verbal de confrontation, au motif qu'elle les aurait signés sous la contrainte. Par une décision du 2 mai 1995, le juge assesseur ordonna sa remise en liberté.
13. Par un acte du 1er juin 1995, le procureur mit la requérante en accusation devant la cour de sûreté de l'Etat. Reprochant à la requérante d'être membre d'une organisation illégale, le procureur requit sa condamnation en vertu de l'article 168 § 2 du code pénal.
14. Le 10 juillet 1995, la requérante soumit à la cour de sûreté de l'Etat sa défense écrite dans laquelle elle plaida non coupable et affirma que lors des interrogatoires, les policiers l'avaient menacée de torture et de mort, que ses déclarations lui avaient été extorquées. Elle prétendit également qu'ils l'avaient giflée lors de son arrestation.
15. Dans ses observations portant la même date, l'avocate de la requérante invoqua l'article 3 de la Convention et demanda à la cour de sûreté de l'Etat de ne pas tenir compte des déclarations et des procès-verbaux rédigés lors de la garde à vue de la requérante.
16. Le 15 avril 1996, l'avocate plaida devant la cour de sûreté de l'Etat que les articles 1, 2 et 7 de la loi no 3713 constituaient une atteinte à la liberté de pensée et d'expression, garantie par la Constitution.
17. Le 13 mai 1996, la cour de sûreté de l'Etat jugea la requérante coupable d'avoir rédigé et distribué des tracts illégaux d'Ekim et la condamna à un an d'emprisonnement ainsi qu'à une amende de 458 333 000 livres turques (TRL), en vertu de l'article 7 § 2 de la loi no 3713 ainsi que de l'article additionnel no 1 de la loi no 3506.
18. La requérante se pourvut devant la Cour de cassation qui confirma l'arrêt attaqué le 4 février 1998.
19. Selon le tampon apposé sur l'arrêt de la Cour de cassation, le 12 mars 1998, ce dernier fut versé au dossier de l'affaire auprès du greffe de la cour de sûreté de l'Etat. L'arrêt définitif fut ainsi mis à la disposition des parties.
20. Le 15 avril 1998, la requérante prit connaissance de l'arrêt définitif de la Cour de cassation, par une notification du parquet l'invitant à purger sa peine.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
21. Les modalités de garde à vue applicables à l'époque des faits sont exposées dans la décision sur la recevabilité Acar c. Turquie (no 24940/94, 3 mai 2001).
22. La loi no 3506 relative à l'augmentation des amendes prévues dans les lois entra en vigueur le 14 décembre 1988. Selon son article 2, les amendes en question qui seraient adoptées postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi seraient soumises à une augmentation en utilisant des coefficients.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
23. La requérante se plaint de mauvais traitements qui lui auraient été infligés lors de sa garde à vue et invoque l'article 3 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, se lit ainsi :
" Nul ne peut être soumis (...) à des (...) traitements inhumains ou dégradants. "
Elle se plaint plus précisément d'avoir été giflée par les policiers et d'avoir subi des injures, des menaces de mort et de torture. Pendant ses interrogatoires, les policiers lui auraient fait écouter des enregistrements de séances de torture infligées à l'un de ses co-accusés.
24. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes, articulée en trois branches. En premier lieu, il se réfère au fait que la requérante ne s'est jamais plainte auprès du parquet compétent pour obtenir une enquête officielle. Il estime par ailleurs que la voie pénale ne devrait pas être considérée comme la seule voie susceptible de redresser les griefs allégués. A cet égard, il cite d'abord la voie de recours administratif, dont l'exercice se fonde sur les articles 125 et 129 de la Constitution. Enfin, il affirme que la requérante aurait pu intenter avec succès une action en dommages et intérêts, sur le terrain du code des obligations.
25. La requérante souligne, de son côté, n'avoir pas allégué une torture mais des traitements inhumains et dégradants.
26. Au vu des circonstances de la cause, la Cour n'estime pas devoir examiner l'exception soulevée par le Gouvernement au titre de l'article 35 § 1 de la Convention, considérant qu'en tout état de cause la requête ne saurait être accueillie pour les motifs suivants.
27. La Cour constate que la requérante n'a pas produit devant elle le moindre élément ou commencement de preuve susceptible d'étayer ses allégations de mauvais traitements. Certes, elle reconnaît qu'il peut être difficile pour un individu d'obtenir des preuves pour appuyer des allégations de mauvais traitements infligés par les policiers pendant une garde à vue, et cela serait d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit de traitements inhumains et dégradants de nature à créer des sentiments de peur, d'angoisse chez la victime sans occasionner de véritables lésions physiques.
28. La Cour observe, en l'espèce, que la requérante s'appuie, afin de prouver les circonstances de sa garde à vue, sur des traitements qui auraient été infligés à ses coaccusés H.D. et H.E., placés en garde à vue en même temps qu'elle, et sur une procédure pénale diligentée contre les policiers responsables des garde à vue, suite à la plainte de H.E.
29. La Cour note que la procédure pénale au sujet des mauvais traitements qui auraient été infligés à H.E. a abouti à l'acquittement des policiers responsables de la garde à vue. Elle constate que cette décision a acquis force de chose jugée.
30. S'agissant des prétendus mauvais traitements que H.D. aurait subis, la requérante n'a fourni, à la Cour, aucun renseignement, sauf un certificat médical selon lequel l'intéressé souffrait d'une douleur au niveau du thorax. Elle n'a pas fourni de preuves médicales démontrant l'origine du symptôme constaté. Elle n'explique pas non plus si l'intéressé a porté plainte contre les policiers au sujet de la prétendue torture subie, si une procédure pénale a été entamée par la suite et, le cas échéant, si celle-ci a abouti. Ce manquement revêt une importance cruciale dans l'examen de la requête dans la mesure où la requérante prétend qu'elle a été contrainte d'écouter des enregistrements sonores de la séance de torture infligée à ce dernier.
31. Par ailleurs, la Cour constate que, tant devant le procureur que devant le juge assesseur, la requérante s'est abstenue de formuler un grief tiré de mauvais traitements. A cet égard, la Cour est prête à reconnaître que durant la période de la garde à vue, la requérante a pu se trouver dans une situation susceptible de " lui inspirer un sentiment de vulnérabilité, d'impuissance et d'appréhension face aux représentants de l'État " (voir İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 63, CEDH 2000-VII, et Aksoy c. Turquie, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2277, § 56). Mais elle ne saurait admettre, a priori et en l'absence d'explications pertinentes, que la situation soit demeurée la même après sa remise en liberté.
32. Ainsi, la Cour n'aperçoit rien permettant de supposer que des agents de l'Etat ont infligé à la requérante des traitements contraires à l'article 3 de la Convention, considéré sous son volet substantiel.
33. Quant à l'allégation tirée de la passivité des autorités judiciaires, face à ses allégations, la Cour estime que la requérante ne pouvait pas légitimement escompter que des investigations approfondies soient menées sans qu'elle-même ou son avocate fournisse aux autorités un fondement plus solide au sujet de ses doléances, lesquelles, aux yeux de la Cour, ne sauraient d'ailleurs passer pour " défendables ".
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 2 DE LA CONVENTION
34. La requérante se plaint d'une violation de l'article 5 § 2 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :
" Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. "
35. S'appuyant sur les procès-verbaux du 20 avril 1995, signés par la requérante, le Gouvernement réplique que la requérante a été informée des raisons de son arrestation au sens de l'article 5 § 2.
36. La Cour rappelle que l'article 5 § 2 énonce une garantie élémentaire : toute personne arrêtée doit savoir les raisons de son arrestation. Intégré au système de protection qu'offre l'article 5, il oblige à signaler à une telle personne, dans un langage simple et accessible pour elle, les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté, afin qu'elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu du paragraphe 4. Elle doit bénéficier de ces renseignements " dans le plus court délai " mais le policier qui l'arrête peut ne pas les lui fournir en entier sur-le-champ. Pour déterminer si elle en a reçu assez et suffisamment tôt, il faut avoir égard aux particularités de l'espèce (voir Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, arrêt du 30 août 1990, série A no 182, § 40).
37. En l'espèce, la Cour observe que selon le procès-verbal d'arrestation du 20 avril 1995 portant la signature de la requérante, l'arrestation de celle-ci avait été procédée dans le cadre de l'enquête menée contre une organisation illégale, Ekim. La Cour prend en considération le fait que, devant la cour de sûreté de l'Etat, la requérante a contesté la véracité de ce procès-verbal.
38. La Cour observe que, dans sa requête initiale, la requérante a affirmé que " pendant sa garde à vue, les policiers lui avaient demandé si elle connaissait telle ou telle personne, si elle avait commis certaines infractions précises, si elle s'était rendue à certains endroits ". Dès lors, à supposer même que les policiers qui l'ont arrêtée ne lui aient pas donné sur-le-champ les raisons de son arrestation en entier, rien dans le dossier ne permet de conclure que la requérante, suite à son arrestation et lors de sa garde à vue, n'avait pas été informée des raisons justifiant les actes des policiers (voir Dikme c. Turquie, no 20869/92, § 55, CEDH 2000-VIII).
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
39. La requérante se plaint de la durée excessive de sa garde à vue et y voit une violation de l'article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :
" Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. "
A. Sur la recevabilité
40. Le Gouvernement soulève une exception de non épuisement des voies de recours internes. Il soutient qu'aux termes de la loi no 466 sur l'indemnisation des personnes illégalement arrêtées ou détenues, la requérante disposait d'un droit à réparation.
41. La requérante rappelle la conformité de la durée de sa garde à vue à la législation interne et soutient qu'elle ne disposait d'aucune voie de recours pour la contester.
42. La Cour a déjà été saisie, à plusieurs reprises, de l'exception relative au non-épuisement du recours prévu par la loi no 466 sur l'indemnisation des personnes illégalement arrêtées ou détenues, soulevée par le Gouvernement dans d'autres requêtes (voir, parmi beaucoup d'autres, Yaşar Bazancır et autres c. Turquie (déc), nos 56002/00 et 7059/02, le 24 juin 2004) et a conclu que ce recours n'était pas un recours à épuiser aux fins de l'article 35 de la Convention s'agissant des griefs tels que ceux soulevés en l'espèce.
Il s'ensuit que l'exception du Gouvernement ne saurait être retenue.
B. Sur le fond
43. Le Gouvernement fait notamment valoir la régularité de la garde à vue imposée en l'espèce, dont la durée n'a pas dépassé les limites prévues par la loi. A cet effet, il attire l'attention sur les difficultés et la spécificité des enquêtes relatives aux infractions terroristes, telles que reprochées à la requérante, et soutient que pareilles infractions " nécessitent un long délai lors de l'instruction préliminaire pour la préparation du dossier en raison de la difficulté du rassemblement des preuves ". Cette préparation faciliterait le jugement et en raccourcirait la durée.
44. La Cour a déjà admis à plusieurs reprises par le passé que les enquêtes au sujet d'infractions terroristes confrontent indubitablement les autorités à des problèmes particuliers (voir, entre autres, Brogan et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145-B, § 61 ; Murray c. Royaume-Uni, arrêt du 28 octobre 1994, série A no 300-A, § 58 ; Aksoy, précité, § 78 ; Sakık et autres c. Turquie, arrêt du 26 novembre 1997, Recueil 1997-VII, § 44 ; Demir et autres c. Turquie, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998-IV, § 41 ; et Dikme, précité, § 64). Cela ne signifie pas, toutefois, que celles-ci ont carte blanche, au regard de l'article 5, pour arrêter et placer en garde à vue des suspects, à l'abri de tout contrôle effectif par les tribunaux internes et, en dernière instance, par les organes de contrôle de la Convention, chaque fois qu'elles choisissent d'affirmer qu'une infraction terroriste est constatée (voir, mutatis mutandis, Murray, précité, § 58).
45. En l'espèce, la garde à vue de la requérante a débuté le 20 avril 1995, avec son arrestation par la police, et s'est terminée le 2 mai 1995, avec sa remise en liberté par le juge assesseur. Elle a donc duré treize jours.
46. La Cour rappelle que dans l'arrêt Brogan et autres, elle a jugé qu'une période de garde à vue de quatre jours et six heures sans que l'intéressé ait été traduit devant un juge allait au-delà des strictes limites de temps fixées par l'article 5 § 3, même quand elle a pour but de prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme (Brogan et autres, précité, p. 33, § 62).
47. La Cour ne saurait donc admettre qu'il ait été nécessaire de détenir la requérante pendant treize jours avant qu'elle ne soit " traduite devant un juge ".
48. Partant, il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 §§ 1, 2 ET 3 d), 7, 9 ET 10 DE LA CONVENTION
49. Par une lettre du 25 septembre 1998, la requérante se plaint en dernier lieu de la violation des articles 6 §§ 1, 2 et 3 d), 7, 9 et 10 de la Convention. Sur le terrain de l'article 6 de la Convention, elle allègue en particulier :
- que la cour de sûreté de l'Etat d'İstanbul ne pouvait passer pour un tribunal indépendant et impartial, du fait qu'un de ses membres était un officier relevant directement de la hiérarchie militaire (article 6 § 1) ;
- que l'arrêt de la Cour de cassation n'était pas motivé et que celui de la cour de sûreté de l'Etat était basé sur des preuves qui n'avaient pas été recueillies de manière légale ;
- n'avoir pas bénéficié du principe de présomption d'innocence dans la mesure où les procès-verbaux de la police et l'acte d'accusation du procureur la désignaient comme membre d'une organisation illégale (article 6 § 2) ;
- n'avoir pas bénéficié de l'assistance d'un avocat lors de sa garde à vue (article 6 § 3 c) ;
- n'avoir pas pu faire interroger deux témoins à décharge (article 6 § 3 d)).
50. Invoquant l'article 7 de la Convention, la requérante prétend que l'application erronée de la loi no 3506 a entraîné une augmentation de l'amende à son encontre.
51. La requérante affirme en outre que sa condamnation a emporté violation des articles 9 et 10 de la Convention dans la mesure où l'infraction par laquelle elle s'est vue condamnée visait, en réalité, la répression de sa liberté de pensée.
52. Le Gouvernement maintient dans ses observations que les griefs introduits le 25 septembre 1998 sur le terrain des articles 6 §§ 1, 2, 3 d), 7, 9 et 10 de la Convention sont tardifs, car ils auraient dû être mentionnés dans la requête du 2 novembre 1995.
53. La Cour rappelle sa jurisprudence relative quant à l'application de la règle de six mois lorsque la notification des décisions internes définitives n'est pas prévue en droit interne (voir les arrêts Worm c. Autriche, arrêt du 29 août 1997, Recueil 1997-V, p. 1547, § 33 ; Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, §§ 30 et 31, CEDH 1999-II ; et Haralambidis et autres c. Grèce, no 36706/97, 29 mars 2001). Elle considère qu'en tout état de cause, en l'espèce, le dies a quo du délai de six mois est le 12 mars 1998, à savoir la date où l'arrêt de la Cour de cassation a été versé au dossier de l'affaire auprès du greffe de la juridiction de première instance et ainsi mis à la disposition des parties (voir les décisions Tahsin İpek c. Turquie (déc.), no 9706/98, 7 novembre 2000 ; Z.Y. c. Turquie (déc.) no 27532/95, 19 juin 2001 ; Ali Şahmo c. Turquie (déc.), no 37415/97, 1er avril 2003 ; et Yavuz et autres c. Turquie (déc.), no 48064/99, 1er février 2005).
54. Les griefs introduits le 25 septembre 1998, qui sont tous fondés sur l'arrêt définitif de la Cour de cassation, paraissent donc tardifs, à moins que la Cour soit convaincue de l'existence de circonstances particulières qui aient pu interrompre ou suspendre le cours du délai en question (voir, mutatis mutandis, Haralambidis et autres, précité.
Or les arguments de la requérante ne suffisent pas à forger une telle conviction. Si elle fait valoir qu'elle n'a été informée de l'arrêt de cassation que le 15 avril 1998, par une notification du parquet l'invitant à purger sa peine, la Cour ne voit pas en quoi elle aurait été empêchée de s'en informer avant, d'autant plus qu'elle était en liberté et bénéficiait de l'assistance d'un avocat.
Bref, la Cour considère que le retard mis dans l'obtention de la copie de la décision interne finale n'est dû qu'à la propre négligence de la requérante, rien dans le dossier ne permettant d'écarter cette présomption. Il s'ensuit que cette partie de la requête est tardive et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
V. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
55. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "
A. Dommage
56. La requérante réclame 35 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'elle aurait subi.
57. Le Gouvernement juge cette demande excessive et considère qu'en cas de constat de violation par la Cour, celui-ci constituerait une réparation suffisante.
58. La Cour relève que la requérante a subi une garde à vue de treize jours et estime qu'il est fort probable que ce fait lui a causé un préjudice moral.
Prenant en compte les différents aspects de la cause et statuant en équité, conformément à l'article 41, la Cour alloue à la requérante la somme de 4 500 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
59. La requérante demande également 10 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et devant la Cour.
60. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
61. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR tous frais confondus et l'accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
62. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 5 § 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros) pour dommage moral et 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 décembre 2005 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent
Berger Boštjan M.
Zupančič
Greffier Président
ARRÊT İ.B. c. TURQUIE
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