TROISIÈME SECTION
AFFAIRE H.E. c. TURQUIE
(Requête no 30498/96)
ARRÊT
STRASBOURG
22 décembre 2005
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire H.E. c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M.
Zupančič,
président,
L.
Caflisch,
R.
Türmen,
C.
Bîrsan,
Mmes A.
Gyulumyan,
R.
Jaeger,
I.
Ziemele,
juges,
et de M.
V.
Berger,
greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er décembre 2005,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 30498/96) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. H. E. (" le requérant "), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (" la Commission ") le 2 novembre 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").
2. Le requérant est représenté par Me Z.S. Özdoğan, avocat à İzmir. Le gouvernement turc (" le Gouvernement ") n'a pas désigné d'agent dans la procédure devant la Cour.
3. Le 23 mars 1999, la Cour (première section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement.
4. Les 1er novembre 2001 et 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
5. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, le 30 juin 2005, la troisième section a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6. Le requérant est né en 1969 et réside à İzmir.
7. Le 19 avril 1995, plusieurs personnes dont le requérant furent arrêtées par la police à Ankara, dans le cadre d'une enquête menée contre une organisation illégale, Ekim.
8. Le même jour, le requérant fut placé en garde à vue dans le commissariat du quartier où il fut arrêté. Quelques heures plus tard, il fut emmené dans les locaux de la section anti-terroriste de la direction de sûreté.
9. Le 20 avril 1995, les policiers effectuèrent plusieurs perquisitions, y compris au domicile du requérant, accompagné de ce dernier. Le procès-verbal de l'état des lieux établi le 20 avril 1995 et signé par le requérant indiquait que celui-ci avait été arrêté dans le cadre d'une enquête menée au sujet des activités d'Ekim. Le procès-verbal précisait que des publications d'organisations illégales, des livres, un ordinateur et une imprimante avaient été trouvés dans l'appartement.
10. Le 24 avril 1995, sur les demandes de la direction de sûreté des 21 et 24 avril 1995, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara (" le procureur "-" la cour de sûreté de l'Etat ") ordonna, dans un premier temps, la garde à vue du requérant jusqu'au 28 avril 1995. Enfin, il prolongea ce délai jusqu'au 2 mai 1995 à la troisième demande de la direction.
11. Le 26 avril 1995, le requérant fut conduit par les policiers dans certains lieux afin de procéder à la reconstitution des faits.
12. Le 2 mai 1995, le requérant fut examiné à l'institut médico-légal. Selon le rapport établi le même jour par le médecin légiste, une lésion de 1 x 15 cm en passe de guérison à l'intérieur du bras gauche ainsi qu'une perte de sensibilité et une douleur au bras droit furent constatées. Le médecin ordonna le transfert du requérant à l'hôpital et déclara que le rapport médical définitif serait établi après son examen par des spécialistes en neurologie.
13. Toujours le 2 mai 1995, le requérant fut entendu par le procureur. Celui-ci traduisit le requérant devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l'Etat. Devant le procureur ainsi que devant le juge assesseur, le requérant revint sur ses déclarations obtenues dans les locaux de la police, et prétendit qu'elles lui avaient été extorquées lors de sa garde à vue. Devant le juge assesseur, tout en niant être un membre d'Ekim, le requérant admit connaître certains sympathisants de l'organisation et avoir rédigé des documents sur son ordinateur. Il reconnut que les livres énumérés sur le procès-verbal de la perquisition lui appartenaient, mais nia le contenu des procès-verbaux de confrontation avec des coaccusés. Le juge assesseur ordonna le placement en détention du requérant.
14. Le 17 mai 1995, s'appuyant sur le rapport médical du 2 mai 1995, l'avocate du requérant porta plainte devant le parquet d'Ankara contre les présumés responsables des tortures. A une date non indiquée, une procédure pénale fut entamée à l'encontre des policiers responsables de la garde à vue du requérant.
15. A l'issue de la procédure pénale en question, les policiers furent acquittés.
16. Le 1er juin 1995, le procureur mit en accusation le requérant du chef d'appartenance à une organisation illégale, infraction prévue à l'article 168 § 2 du code pénal et l'article 5 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme.
17. Dans ses observations écrites du 10 juillet 1995, en rappelant les dispositions du droit interne et faisant référence à l'article 3 de la Convention, l'avocate du requérant demanda à la cour de sûreté de l'Etat de ne pas tenir compte des déclarations extorquées, ni des procès-verbaux rédigés par les policiers lors de la garde à vue.
18. Le 10 juillet 1995, dans sa défense écrite, le requérant relata les circonstances de son arrestation et de sa garde à vue et précisa que les policiers lui avaient demandé les noms des militants de " l'organisation ".
19. Le 10 juillet 1995, le requérant fut remis en liberté par la cour de sûreté de l'Etat.
20. Le 15 avril 1996, l'avocate du requérant plaida devant la cour de sûreté de l'Etat l'inconstitutionnalité des articles 1, 2 et 7 de la loi no 3713, et invoqua la liberté de pensée et d'expression.
21. Le 13 mai 1996, la cour de sûreté de l'Etat jugea le requérant coupable d'avoir rédigé et distribué des tracts illégaux d'Ekim et le condamna à un an d'emprisonnement ainsi qu'à une amende de 458 333 000 livres turques (TRL), en vertu de l'article 7 § 2 de la loi no 3713 ainsi que de l'article additionnel no 1 de la loi no 3506.
22. Le requérant se pourvut devant la Cour de cassation qui confirma, le 4 février 1998, l'arrêt attaqué.
23. Selon le tampon apposé sur l'arrêt de la Cour de cassation, le 12 mars 1998, ce dernier fut versé au dossier de l'affaire auprès du greffe de la cour de sûreté de l'Etat. L'arrêt définitif fut ainsi mis à la disposition des parties.
24. L'arrêt définitif n'ayant pas été notifié, le requérant en aurait pris connaissance par ses propres moyens le 20 mars 1998.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
25. Les modalités de garde à vue applicables à l'époque des faits sont exposées dans la décision sur la recevabilité Acar c. Turquie (no 24940/94, 3 mai 2001).
26. L'article 94 du code de procédure pénale prévoit la perquisition au domicile d'une personne soupçonnée de commettre une infraction. En vertu de l'article 96 du même code, une perquisition ne peut avoir lieu de nuit hormis le cas de flagrant délit ou le cas où un retard serait préjudiciable ou bien lorsqu'il s'agit de l'arrestation d'un détenu ou condamné fugitif. L'article 97 dispose que la décision de procéder à une perquisition est prise par le juge. Toutefois, dans le cas où un retard serait préjudiciable, les procureurs de la République ou les policiers chargés d'exécuter leurs ordres peuvent procéder à une perquisition.
Les articles 193 et 194 du code pénal répriment le fait de procéder illégalement à une perquisition domiciliaire.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 2 DE LA CONVENTION
27. Le requérant se plaint de n'avoir pas été informé des motifs de son arrestation et allègue de ce fait une violation de l'article 5 § 2 de la Convention, ainsi libellé :
" Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. "
28. S'appuyant sur les procès-verbaux du 20 avril 1995, signés par le requérant, le Gouvernement réplique que ce dernier a été informé des raisons de son arrestation au sens de l'article 5 § 2.
29. La Cour rappelle que l'article 5 § 2 énonce une garantie élémentaire : toute personne arrêtée doit savoir les raisons de son arrestation. Intégré au système de protection qu'offre l'article 5, il oblige à signaler à une telle personne, dans un langage simple accessible pour elle, les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté, afin qu'elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu du paragraphe 4. Elle doit bénéficier de ces renseignements " dans le plus court délai " mais le policier qui l'arrête peut ne pas les lui fournir en entier sur-le-champ. Pour déterminer si elle en a reçu assez et suffisamment tôt, il faut avoir égard aux particularités de l'espèce (voir l'arrêt Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, arrêt du 30 août 1990, série A no 182, § 40).
30. En l'espèce, la Cour observe que le procès-verbal d'état des lieux du 20 avril 1995, portant la signature du requérant, expose que le requérant avait été arrêté dans le cadre d'une enquête au sujet de l'organisation Ekim, menée par la direction de la sûreté. Elle observe également que lors de son interrogatoire devant le juge assesseur, le requérant n'a manifestement pas contesté le procès-verbal sur ce point.
31. La Cour constate, de plus, que dans sa requête initiale, le requérant a affirmé que " pendant sa garde à vue, les policiers lui avaient demandé s'il connaissait telle ou telle personne, s'il avait commis telle ou telle infraction, s'il avait déjà été à tel ou tel endroit ". A supposer même que les policiers qui l'ont arrêté ne lui aient pas donné sur-le-champ les raisons de son arrestation en entier, rien dans le dossier ne permet de conclure que le requérant, suite à son arrestation et lors de sa garde à vue, n'a pas été informé des raisons justifiant celle-ci (voir Dikme c. Turquie, no 20869/92, § 55, CEDH 2000-VIII).
32. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être déclaré irrecevable conformément à l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
33. Le requérant se plaint de la durée de sa garde à vue. Il invoque l'article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :
" Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires (....) "
A. Sur la recevabilité
34. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette partie de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes en vertu de l'article 35 § 1 de la Convention. Il fait observer, en premier lieu, que le paragraphe 8 de l'article 19 de la Constitution offrait une voie de recours au requérant afin de faire contrôler la légalité de sa garde à vue. Il fait valoir en outre que le requérant a omis de former un recours devant le juge de paix sur la base de l'article 128 § 4 du code de procédure pénale. Il soutient, enfin, qu'aux termes de la loi no 466 sur l'indemnisation des personnes illégalement arrêtées ou détenues, le requérant disposait d'un droit à réparation qu'il pouvait utiliser une fois que son procès est achevé.
35. Le requérant s'oppose à la thèse du Gouvernement et soutient que toute démarche judiciaire se serait avérée vaine dès lors qu'en l'espèce, les mesures litigieuses avaient été prises en conformité avec la législation en vigueur à l'époque.
36. La Cour relève d'emblée que le recours invoqué par le Gouvernement et instauré par l'article 128 § 4 du code de procédure pénale ne s'appliquait pas à l'époque des faits, lorsqu'il s'agissait d'infractions, comme en l'espèce, relevant de la compétence des cours de sûreté de l'État (Barut c. Turquie (déc.), no 29863/96, 11 septembre 2001).
37. Pour ce qui est de l'exception tirée de l'article 19 de la Constitution, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle une voie de recours doit exister avec un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi lui manquent l'accessibilité et l'efficacité voulues ; il incombe à l'État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (Navarra c. France, arrêt du 23 novembre 1993, série A no 273-B, p. 27, § 24). Or, en l'espèce, la Cour note que le Gouvernement n'a fourni aucun exemple de décision d'un juge annulant le placement en garde à vue d'un prévenu suite à un recours introduit sur la base de l'article 19 de la Constitution. Il s'ensuit que l'existence de cette voie de recours est loin d'être établie avec un degré suffisant de certitude (Cihan c. Turquie, (déc.) no 25724/94, 26 octobre 1999).
38. S'agissant de la voie d'indemnisation prévue par la loi no 466, la Cour constate tout d'abord que le grief du requérant tiré de l'article 5 § 3 de la Convention ne consiste pas à dire que celui-ci n'avait pas disposé d'une voie de recours en vue d'obtenir un dédommagement. Le requérant allègue l'absence d'une procédure par le biais de laquelle il aurait pu obtenir un contrôle juridictionnel du type spécifique requis par l'article 5 § 3. Dès lors, la Cour estime que le fait d'exiger du requérant, placé en garde à vue sans contrôle judiciaire rapide et automatique, d'introduire un recours en dommages-intérêts modifierait la nature de la garantie offerte, notamment par les paragraphes 3 et 4 de l'article 5, qui est distincte de celle prévue par l'article 5 § 5 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Yağcı et Sargın c. Turquie, arrêt du 8 juin 1995, série A no 319-A, p. 17, § 44,).
39. Il s'ensuit que l'exception du Gouvernement ne saurait être accueillie.
B. Sur le fond
40. Le Gouvernement fait notamment valoir la régularité de la garde à vue imposée en l'espèce, dont la durée n'a pas dépassé les limites prévues par la loi. A cet effet, il attire l'attention sur les difficultés et la spécificité des enquêtes relatives aux infractions terroristes, telles que reprochées au requérant et soutient que pareilles infractions " nécessitent un long délai lors de l'instruction préliminaire pour la préparation du dossier en raison de la difficulté du rassemblement des preuves ". Cette préparation faciliterait le jugement et en raccourcirait la durée.
41. La Cour a déjà admis à plusieurs reprises par le passé que les enquêtes au sujet d'infractions terroristes confrontent indubitablement les autorités à des problèmes particuliers (voir, entre autres, Brogan et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145-B, § 61 ; Murray c. Royaume-Uni, arrêt du 28 octobre 1994, série A no 300-A, § 58 ; Aksoy c. Turquie, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, § 78 ; Sakık et autres c. Turquie, arrêt du 26 novembre 1997, Recueil 1997-VII, § 44 ; Demir et autres c. Turquie, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998-IV, § 41 ; et Dikme, précité, § 64). Cela ne signifie pas, toutefois, que celles-ci ont carte blanche, au regard de l'article 5, pour arrêter et placer en garde à vue des suspects, à l'abri de tout contrôle effectif par les tribunaux internes et, en dernière instance, par les organes de contrôle de la Convention, chaque fois qu'elles choisissent d'affirmer qu'une infraction terroriste est constatée (voir, mutatis mutandis, Murray, précité, § 58).
42. En l'espèce, la garde à vue du requérant a débuté le 19 avril 1995 avec son arrestation par la police et s'est terminée le 2 mai 1995, avec son placement en détention provisoire par le juge assesseur. Elle a donc duré quatorze jours.
43. La Cour rappelle que dans l'arrêt Brogan et autres, elle a jugé qu'une période de garde à vue de quatre jours et six heures sans que l'intéressé ait été traduit devant un juge allait au-delà des strictes limites de temps fixées par l'article 5 § 3, même quand elle a pour but de prémunir la collectivité dans son ensemble contre le terrorisme (Brogan et autres, précité, p. 33, § 62).
44. La Cour ne saurait donc admettre qu'il ait été nécessaire de détenir le requérant pendant quatorze jours avant qu'il ne soit " traduit devant un juge ".
45. Partant, il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
46. Le requérant estime que la perquisition à son domicile a été effectuée sans respecter la modalité requise par la loi. Il invoque l'article 8 de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes :
" 1. Toute personne a droit au respect de (...) son domicile (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, (...) à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, (...) "
47. Le Gouvernement ne se prononce pas à ce sujet.
48. La Cour rappelle que, dans le cadre de la lutte contre la criminalité, les Etats peuvent estimer nécessaire de recourir à certaines mesures, telles que les visites domiciliaires et les saisies, pour établir la preuve matérielle des délits et en poursuivre le cas échéant les auteurs. Cela étant, il faut que leur législation et leur pratique en la matière offrent des garanties adéquates et suffisantes contre les abus (voir, notamment, Klass et autres c. Allemagne, arrêt du 6 septembre 1978, série A no 28, p. 23, § 50, et Miailhe c. France (no 1), arrêt du 25 février 1993, série A no 256-C, pp. 89-90, § 37).
49. En l'espèce, la Cour relève que le droit national habilite l'administration à conduire dans certains cas une perquisition domiciliaire sans mandat judiciaire. Elle observe que la perquisition litigieuse visait à recueillir des éléments de preuve pouvant confirmer les soupçons qui pesaient sur le requérant, à savoir son éventuelle appartenance à une organisation illégale. Quant aux conditions dans lesquelles la perquisition se déroula, le procès-verbal de perquisition indique que celle-ci s'était effectuée en présence du requérant. Il ne ressort pas des documents versés au dossier que le requérant ait formulé son désaccord quant à la perquisition, ni contesté, ultérieurement, la véracité de ces documents devant les autorités judiciaires.
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 §§ 1, 2 ET 3 c) - d), 7, 9 ET 10 DE LA CONVENTION
50. Par une lettre du 25 septembre 1998, le requérant se plaint en dernier lieu de la violation des articles 6 §§ 1, 2 et 3 c)-d), 7, 9 et 10 de la Convention. Sur le terrain de l'article 6 de la Convention, il allègue en particulier ;
- que la cour de sûreté de l'Etat d'İstanbul ne pouvait passer pour un tribunal indépendant et impartial, du fait qu'un de ses membres était un officier relevant directement de la hiérarchie militaire (article 6 § 1) ;
- que l'arrêt de la Cour de cassation n'était pas motivé et que celui de la cour de sûreté de l'Etat était basé sur des preuves qui n'avaient pas été recueillies de manière légale ;
- n'avoir pas bénéficié du principe de présomption d'innocence dans la mesure où les procès-verbaux de la police et l'acte d'accusation du procureur le désignaient comme membre d'une organisation illégale (article 6 § 2) ;
- n'avoir pas bénéficié de l'assistance d'un avocat lors de sa garde à vue (article 6 § 3 c) ;
- n'avoir pas pu faire interroger deux témoins à décharge (article 6 § 3 d)).
51. Invoquant l'article 7 de la Convention, le requérant prétend que l'application erronée de la loi no 3506 a entraîné une augmentation de l'amende à son encontre.
52. Le requérant affirme en outre que sa condamnation a emporté violation des articles 9 et 10 de la Convention dans la mesure où l'infraction par laquelle il s'est vu condamné visait, en réalité, la répression de sa liberté de pensée.
53. Le Gouvernement maintient dans ses observations que les griefs introduits le 25 septembre 1998 sur le terrain des articles 6 §§ 1, 2, 3 d), 7, 9 et 10 de la Convention sont tardifs, car ils auraient dû être mentionnés dans le mémoire introductif du 2 novembre 1995.
54. Le requérant affirme s'être informé de l'arrêt de cassation le 20 mars 1998.
55. Les griefs introduits le 25 septembre 1998, qui sont tous fondés sur l'arrêt définitif de la Cour de cassation, sont donc tardifs. Il s'ensuit que cette partie de la requête est tardive et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
V. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
56. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "
A. Dommage
57. Le requérant réclame 35 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait subi.
58. Le Gouvernement juge cette demande excessive et considère qu'en cas de constat de violation par la Cour, celui-ci constituerait une réparation suffisante.
59. La Cour relève que le requérant a subi une garde à vue de quatorze jours et estime qu'il est fort probable que ce fait lui a causé un préjudice moral.
Prenant en compte les différents aspects de la cause et statuant en équité, conformément à l'article 41, la Cour alloue au requérant la somme de 5 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
60. Le requérant demande également 10 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et devant la Cour.
61. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
62. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR tous frais confondus et l'accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
63. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 5 § 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral ainsi que 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 décembre 2005 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent
Berger Boštjan M.
Zupančič
Greffier Président
ARRÊT H.E. c. TURQUIE
ARRÊT H.E. c. TURQUIE