EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE SIEBENHAAR c. ALLEMAGNE
(Requête no 18136/02)
ARRÊT
STRASBOURG
3 février 2011
Demande de renvoi devant la Grande Chambre en cours
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Siebenhaar c. Allemagne,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer
Lorenzen,
président,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Zdravka Kalaydjieva,
Ganna Yudkivska,
juges,
Eckart Klein,
juge ad hoc,
et de Claudia Westerdiek,
greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 janvier 2011,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 18136/02) dirigée contre la République fédérale d'Allemagne et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Astrid Siebenhaar (« la requérante »), a saisi la Cour le 29 avril 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Me M. Kleine-Cosack, avocat à Fribourg-en-Brisgau. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme A. Wittling-Vogel, Ministerialdirigentin au ministère fédéral de la Justice.
3. La requérante allègue que son licenciement par l'Eglise protestante a enfreint les articles 9 et 14 de la Convention.
4. Le 14 mai 2008, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l'affaire.
5. A la suite du déport de Mme R. Jaeger, juge élue au titre de l'Allemagne, le Gouvernement a désigné, le 17 juin 2008, M. le professeur Eckart Klein pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
6. Tant le Gouvernement que la requérante ont déposé des observations écrites. Des observations communes ont également été adressées au greffe par l'Eglise protestante de Bade et l'Eglise protestante d'Allemagne, que le président avait autorisées à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement). Les parties ont répondu à ces commentaires (article 44 § 5 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
7. La requérante est née en 1964 et réside à Keltern.
8. En mai 1997, la requérante, de confession catholique, commença à travailler comme éducatrice dans une garderie d'enfants tenue par une paroisse protestante de Pforzheim.
9. Son contrat de travail, daté du 16 mai 1997, prévoyait dans son préambule :
« Le service au sein de l'Eglise et de la diaconie est déterminé par la mission de proclamation de l'Evangile en paroles et en actes. Les collaborateurs et l'employeur mettent leurs compétences professionnelles au service de cet objectif et forment une communauté de service indépendamment de leur position ou de leurs fonctions professionnelles. Sur ce fondement est conclu le contrat de travail suivant (...) »
Son paragraphe 2 b) disposait que l'embauche de la requérante était régie par les réglementations relatives au fondement des relations de service des collaborateurs (Mitarbeiterinnen und Mitarbeiter) de l'Eglise protestante de Bade et de sa diaconie (« les réglementations ») (paragraphe 21 ci-dessous). Le paragraphe 9 du contrat, qui reprenait à la lettre le libellé de l'article 9 des réglementations, prévoyait la possibilité pour l'employeur de prononcer un licenciement sans préavis pour motif important.
10. Le 26 octobre 1998, la requérante fut mutée à la direction d'un jardin d'enfants tenu par une autre paroisse protestante de la ville. D'après les constatations des juridictions nationales, son salaire mensuel brut s'élevait à environ 4 200 marks allemands (DEM).
11. Le 3 décembre 1998, l'Eglise protestante fut informée par voie anonyme que la requérante était membre d'une communauté appelée l'Eglise universelle/Fraternité de l'humanité (ci-après « L'Eglise universelle ») et qu'elle proposait des cours d'initiation (primary lessons) pour le compte de celle-ci.
12. Le 14 décembre 1998, la requérante fut entendue en présence de la présidente du comité du personnel. Le lendemain, une rencontre formelle (Erörterung) eut lieu entre l'intéressée et des représentants de l'Eglise protestante et du comité du personnel, au cours de laquelle la situation fut examinée. Le 16 décembre 1998, l'Eglise protestante, après avoir reçu l'accord du comité du personnel, prononça le licenciement extraordinaire de la requérante à compter du 1er janvier 1999.
13. Le 7 janvier 1999, la requérante saisit le tribunal du travail de Pforzheim dans le but de faire constater que le licenciement n'avait pas résilié le contrat de travail conclu entre les parties.
14. Le 24 février 1999, le tribunal du travail débouta la requérante de sa demande au motif qu'elle avait enfreint ses obligations de loyauté envers l'Eglise protestante. Selon le tribunal, ce manquement constituait un motif de licenciement extraordinaire en vertu de l'article 626 § 1 du code civil (paragraphe 20 ci-dessous). Reprenant les critères dégagés par la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt de principe du 4 juin 1985 (ibidem), le tribunal releva que, en vertu du contrat de travail et des règlements applicables de l'Eglise protestante, la requérante n'avait le droit ni d'appartenir ni de participer à une organisation dont les principes, les objectifs ou les activités pratiques étaient en contradiction avec la mission de l'Eglise protestante. Celle-ci avait le droit d'imposer à ses employés de s'abstenir d'activités mettant en doute leur loyauté envers elle et d'adopter une conduite professionnelle et privée conforme à ses exigences. Le tribunal nota que la requérante avait signé auprès de l'Eglise universelle, en 1998 et 1999, des déclarations selon lesquelles elle s'engageait à faire preuve d'une « confiance sans réserve envers les maîtres de la sagesse et leurs enseignements » et d'une « obéissance inébranlable aux désirs de ceux-ci dans tout ce qui se rapportait à son développement spirituel progressif ». Il considéra que la question de savoir si et dans quelle mesure les enseignements de l'Eglise universelle étaient en contradiction avec les enseignements chrétiens n'était pas décisive. En effet, en déclarant vouloir contribuer à bâtir le fondement sur lequel l'Eglise universelle « victorieuse » devait s'ériger afin d'occuper le rang le plus haut dans une nouvelle ère durable, la requérante aurait clairement manifesté son intention de soutenir les efforts de mission de l'Eglise universelle et de placer celle-ci au-dessus des autres Eglises. Aux yeux du tribunal, elle n'offrait dès lors plus la garantie qu'elle respectait, dans sa conduite professionnelle ou privée, les idéaux de l'Eglise protestante ou catholique ; en affirmant que son appartenance à une autre Eglise chrétienne ne posait aucun problème pour l'Eglise universelle, elle méconnaissait que le point de vue décisif à cet égard était celui de l'Eglise protestante.
Le tribunal ajouta que, lors de la mise en balance des intérêts en jeu, exigée par l'article 626 § 1 du code civil, il fallait tenir compte du fait que, d'une part, la requérante n'était pas qu'un membre passif de l'Eglise universelle, mais qu'elle faisait de la publicité pour celle-ci à l'extérieur et proposait même des cours d'initiation, et que, d'autre part, elle n'était employée par l'Eglise protestante que depuis mai 1997, donc depuis relativement peu de temps.
15. Le 30 septembre 1999, la cour d'appel du travail du Bade-Wurtemberg accueillit l'appel de la requérante. Tout en approuvant les conclusions du tribunal du travail quant à l'existence d'un manque de loyauté persistant et à l'incompatibilité des enseignements et des objectifs de l'Eglise universelle avec les principes essentiels et la conception propre de l'Eglise protestante (notamment sur les sujets de la réincarnation et de la reconnaissance de maîtres spirituels d'autres religions), elle considéra que ces torts n'autorisaient pas un licenciement extraordinaire, lequel, d'après les réglementations de l'Eglise protestante, ne pouvait se justifier que par un manquement important aux obligations de loyauté mettant gravement en péril la crédibilité du service ecclésiastique. Elle estima qu'on pouvait donc exiger de l'Eglise protestante qu'elle continuât d'employer la requérante jusqu'à l'expiration du délai de préavis prévu en cas de licenciement ordinaire. Dans la mesure où l'Eglise protestante avait affirmé que la requérante avait appliqué les préceptes de l'Eglise universelle à l'égard des enfants du jardin d'enfants, la cour d'appel fut d'avis que ces nouveaux éléments ne pouvaient pas être produits devant elle car ils n'avaient pas fait l'objet des entretiens menés avec la requérante les 14 et 15 décembre 1998.
16. Le 21 février 2001, la Cour fédérale du travail cassa l'arrêt de la cour d'appel et débouta la requérante de sa demande. Se référant à l'arrêt de principe de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 juin 1985 (nos 2 BvR 1703/83, 1718/83 et 856/84), auquel elle s'était ralliée, elle estima que la cour d'appel, en se fondant uniquement sur l'appartenance publiquement confessée par la requérante à l'Eglise universelle, n'avait pas suffisamment pris en compte l'ensemble des circonstances de l'affaire. Elle souligna que la requérante avait non seulement proposé des cours d'initiation, mais qu'elle figurait aussi comme personne de contact sur le formulaire d'inscription à des cours d'enseignements fondamentaux pour « l'apprentissage spirituel supérieur ». Il s'agissait donc, aux yeux de la Cour fédérale du travail, d'un manquement beaucoup plus grave aux obligations de loyauté – telles que définies par l'article 6 § 3 des réglementations – que la seule appartenance à l'Eglise universelle, d'autant qu'il ressortait de l'entretien du 14 décembre 1998 et de l'attitude rigide qu'y avait adoptée la requérante que celle-ci n'était pas prête à abandonner ses activités d'enseignement. De même, la Cour fédérale considéra que la cour d'appel n'avait pas pris en considération la durée de l'engagement de la requérante dans l'Eglise universelle. Elle exposa que l'Eglise protestante, qui soutenait qu'il n'était pas possible à long terme de servir deux maîtres dans le domaine des affaires de conscience, pouvait à raison craindre que l'engagement de la requérante eût des répercussions sur son travail dans le jardin d'enfants, dans les locaux duquel un séminaire de l'Eglise universelle devait avoir lieu sur le thème de l'apprentissage spirituel supérieur et de l'importance de la transmission des lois et sagesses fondamentales de la vie dans les jardins d'enfants, écoles et universités.
La Cour fédérale du travail releva ensuite que la requérante avait caché son appartenance à l'Eglise universelle lors de son embauche. Elle estima qu'on aurait pu attendre d'elle qu'elle en eût informé l'Eglise protestante dans le but de prévoir des solutions en cas d'éventuels conflits de loyauté. Elle ajouta que, pour répondre à la question de savoir si le licenciement extraordinaire qui avait été prononcé était justifié, il fallait reconnaître une importance primordiale à l'intérêt de l'Eglise protestante de rester crédible aux yeux du public et en particulier des parents des enfants fréquentant le jardin d'enfants ; de même, il fallait éviter tout risque que les enfants soient influencés par une éducatrice appartenant à une confession en contradiction avec les préceptes de l'Eglise protestante, et ce indépendamment de la question de savoir si de réels incidents avaient eu lieu à cet égard. Elle nota enfin que la durée relativement courte de l'emploi de la requérante et le jeune âge de celle-ci devaient également être pris en considération.
17. Considérant que les faits étaient suffisamment établis et elle-même pouvant trancher le litige en suivant les conclusions du tribunal du travail, la Cour fédérale du travail n'estima pas nécessaire de renvoyer l'affaire devant la cour d'appel. Elle précisa que, dans la mesure où la requérante invoquait son droit à la liberté de croyance, de conscience et de profession de foi, garanti par l'article 4 de la Loi fondamentale, l'intéressée n'était pas fondée à réaliser ce droit en adoptant, comme elle l'avait fait, un comportement contraire à ses obligations de loyauté découlant d'une relation de travail avec une autre communauté religieuse. L'arrêt fut signifié à l'avocat de la requérante le 26 juillet 2001.
18. Le 20 août 2001, la requérante, représentée par l'avocat qui est également le sien devant la Cour, saisit la Cour constitutionnelle fédérale d'un recours constitutionnel. Sur la première page du recours et dans la partie concernant le bien-fondé de cette action (page 18) figuraient, en tant que droits fondamentaux dont la violation était alléguée, les articles 4 § 1 (liberté de croyance, de conscience et de profession de foi) et 12 § 1 (liberté de la profession) de la Loi fondamentale. A la page 25, sous le sous-titre « appartenance » (Mitgliedschaft), les conclusions concernant la violation de l'article 4 § 1 de la Loi fondamentale se lisaient ainsi :
« La Cour fédérale du travail méconnaît le fait que la requérante est aussi membre de l'Eglise catholique ; cette appartenance aurait également dû aboutir à un constat de manquement au devoir de loyauté, ce que ni l'employeur ni les tribunaux n'ont cependant relevé. Les différences entre les deux grandes Eglises [protestante et catholique] sont encore importantes à ce jour. La raison pour laquelle seule l'appartenance à l'Eglise universelle constitue un manquement au devoir de loyauté reste donc inexpliquée.
En cataloguant l'Eglise universelle par rapport à l'Eglise catholique, la Cour fédérale du travail méconnaît finalement, au mépris de la Constitution, le fait que la Loi fondamentale, dans les paragraphes 1 et 2 de son article 4, protège les adeptes de toute communauté religieuse, sans privilégier une religion particulière, car elle est neutre à cet égard. »
19. Le 7 mars 2002, la Cour constitutionnelle fédérale, statuant en comité de trois juges, n'admit pas le recours constitutionnel de la requérante (no 1 BvR 1962/01). Indiquant que celle-ci avait allégué une violation de ses droits fondamentaux découlant des articles 4 § 1 et 12 § 1 de la Loi fondamentale, elle estima que le recours constitutionnel ne revêtait pas une importance constitutionnelle fondamentale. Elle releva que les juridictions du travail avaient suivi la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale en la matière (paragraphe 20 ci-dessous). Le recours constitutionnel ne soulevait de ce fait pas de nouvelles questions de droit constitutionnel. La Cour constitutionnelle fédérale considéra que, dans la mesure où la requérante soutenait que son comportement et ses activités en faveur de l'Eglise universelle ne constituaient pas un manquement grave à ses obligations de loyauté envers son Eglise employeur, elle ne mettait pas en cause cette jurisprudence mais qu'elle se plaignait uniquement de la manière dont ses droits fondamentaux avaient été mis en balance avec le droit d'autonomie de l'Eglise protestante. Elle estima que la Cour fédérale du travail avait tenu compte des droits de la requérante à la liberté de croyance et de conscience lors de la mise en balance des intérêts en jeu, et que le résultat était en conformité avec les critères établis en matière de contrôle de décisions judiciaires par la Cour constitutionnelle fédérale.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET COMMUNAUTAIRES PERTINENTS
A. Les dispositions législatives étatiques, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale et le droit communautaire
20. Le droit interne et communautaire pertinent en l'espèce et l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 juin 1985 sont décrits dans les arrêts Obst c. Allemagne (no 425/03, 23 septembre 2010, §§ 24-27) et Schüth c. Allemagne (no 1620/03, 23 septembre 2010, §§ 30-42).
B. Les réglementations de l'Eglise protestante
21. L'article 6 § 3 des réglementations relatives au fondement des relations de service des collaborateurs de l'Eglise protestante de Bade et de la diaconie de l'Eglise protestante de Bade (Arbeitsrechtsregelungen über die Grundlage der Dienstverhältnisse der kirchlichen Mitarbeiterinnen und Mitarbeiter im Bereich der Evangelischen Landeskirche und des Diakonischen Werkes der Evangelischen Landeskirche in Baden) du 6 avril 1984 est ainsi libellé :
« Le collaborateur doit se montrer loyal à l'égard de l'Eglise protestante. Sont exclus l'appartenance à et la collaboration avec des organisations dont les principes, les objectifs ou les activités pratiques sont en contradiction avec la mission de l'Eglise protestante. »
L'article 9 des réglementations prévoit ce qui suit :
« L'employeur peut mettre fin à la relation de travail en prononçant un licenciement pour motif important si le collaborateur a gravement enfreint les devoirs d'un collaborateur ecclésial de par son mode de vie personnel ou son comportement professionnel et qu'il a ainsi mis gravement en péril la crédibilité du service ecclésiastique, ou s'il se retire de l'Eglise. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
22. La requérante se plaint des modalités de la mise en balance des intérêts en jeu par la Cour fédérale du travail, à qui elle reproche d'avoir privilégié le droit d'autonomie de l'Eglise protestante au détriment de son propre droit à la liberté de religion. Elle invoque l'article 9 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (...), à la protection des droits et libertés d'autrui. »
23. Le Gouvernement combat cette thèse.
A. Sur la recevabilité
24. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Les thèses des parties
a) La requérante
25. La requérante se plaint d'une ingérence dans l'exercice de son droit à la liberté de religion, d'une part, par les juridictions étatiques et, d'autre part, par l'Eglise protestante du fait du statut de corporation de droit public de celle-ci, et du financement public et de la position de monopole que les Eglises, qui emploieraient 1,3 million de personnes, détiendraient en Allemagne.
26. L'intéressée allègue que le licenciement qui l'a frappée n'a pas de base légale en droit allemand. A cet égard, elle affirme que seul un manquement professionnel grave, telle une condamnation pénale, peut constituer un motif important de licenciement au sens de l'article 626 § 1 du code civil. En revanche, on ne pourrait licencier pour motif important un employé faisant preuve sur son lieu de travail d'un comportement sans défaut.
27. La requérante affirme en outre que les juridictions du travail ont procédé à la mise en balance des intérêts en jeu de manière presque arbitraire en faveur de l'Eglise employeur. D'après elle, les Eglises en Allemagne bénéficient, dans le contentieux du travail, d'une protection plus grande que les employés alors même que la société serait de moins en moins religieuse et que le poids des Eglises aurait considérablement diminué. Or la liberté de religion, en tant que droit fondamental individuel, devrait l'emporter sur le droit d'autonomie des Eglises, lequel ne serait qu'un dérivé de ce droit individuel.
28. La requérante souligne également que la présente affaire ne concerne pas un prêtre ou une personne chargée d'un service religieux, mais une simple éducatrice dans un jardin d'enfants. Selon l'intéressée, les employés qui travaillent dans les établissements ecclésiaux faisant partie des activités sociales des Eglises ne devraient pas, à la différence des personnes exerçant des fonctions dans le domaine intra-ecclésial, se voir imposer sans limite des obligations de loyauté par les Eglises, d'autant que celles-ci détiendraient souvent une position de monopole dans le secteur social, en particulier en ce qui concerne les jardins d'enfants, et seraient presque entièrement financées par l'Etat dans ce domaine.
29. La requérante soutient enfin que les obligations de loyauté, lorsqu'elles excluent l'appartenance à une organisation dont les principes, les objectifs ou les activités pratiques sont en contradiction avec l'Eglise employeur, dépassent les limites posées par l'article 9 § 2 de la Convention. Elle allègue qu'elle a exercé sa liberté de religion de manière discrète, en dehors de son travail, qu'elle n'a fait preuve d'aucun prosélytisme sur son lieu de travail, qu'elle n'a en particulier à aucun moment essayé d'influer sur les enfants du jardin d'enfants et que, si elle a effectivement proposé les cours d'initiation – qui n'auraient finalement pas eu lieu –, c'était dans une autre ville (Karlsruhe). De surcroît, en tant qu'éducatrice exerçant dans un jardin d'enfants, elle n'aurait pas de proximité avec la mission de proclamation de l'Eglise protestante et n'aurait pas pour mission d'enseigner les prescriptions dogmatiques et morales de celle-ci. La requérante ajoute que, si elle avait dès le départ informé son employeur de son appartenance à l'Eglise universelle, elle n'aurait jamais été embauchée.
b) Le Gouvernement
30. Le Gouvernement réplique d'abord que l'Eglise protestante de Bade, en dépit de son statut de personne morale de droit public, ne fait pas partie de la puissance publique. Il n'y aurait donc eu aucune ingérence de la part des pouvoirs publics dans les droits de la requérante. Le manquement allégué des juridictions du travail pourrait dès lors être examiné uniquement sous l'angle des obligations positives de l'Etat. Compte tenu de l'absence d'une pratique commune à tous les Etats contractants dans ce domaine, la marge d'appréciation serait ample, d'autant qu'il s'agirait ici d'une matière qui touche aux sentiments, traditions et domaine religieux. Le Gouvernement rappelle par ailleurs que l'Etat peut être appelé à limiter la liberté de manifester sa religion afin de concilier les intérêts des divers groupes religieux qui coexistent au sein de la société et d'assurer le respect des convictions de chacun.
31. Le Gouvernement expose ensuite que les juridictions du travail devant lesquelles la requérante a pu porter son différend étaient appelées à trancher un litige entre deux personnes investies de droits et qu'elles devaient mettre en balance l'intérêt de la requérante avec le droit de l'Eglise protestante à régler ses affaires de manière autonome. Selon le Gouvernement, le juge du travail, en appliquant les dispositions légales relatives au licenciement, était tenu de prendre en compte les principes définis par l'Eglise protestante car, en vertu de leur droit d'autonomie, il appartenait aux Eglises et communautés religieuses elles-mêmes de définir, dans le but de sauvegarder leur crédibilité, les obligations de loyauté que leurs employés devaient respecter. Le Gouvernement rappelle que, cela étant, il ne peut être accordé une importance sans limite aux préceptes ecclésiastiques et que le juge étatique ne peut appliquer un précepte qui va à l'encontre des principes généraux de l'ordre juridique. Autrement dit, selon lui, si les employeurs ecclésiastiques peuvent certes prescrire des obligations de loyauté à leurs employés, il ne leur revient pas de déterminer quels sont les motifs de licenciement, ce qui relèverait de l'interprétation par le juge des dispositions législatives en matière de protection contre les licenciements.
32. Le Gouvernement considère que les juridictions du travail ont appliqué ces principes à la présente cause. Il estime en particulier que la Cour fédérale du travail a suivi à la lettre les considérants établis par la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt de principe de 1985, dont la Commission européenne des droits de l'homme avait par ailleurs constaté la conformité avec la Convention (Rommelfanger c. Allemagne, no 12242/86, décision de la Commission du 6 septembre 1989, Décision et Rapports 62, p. 151). Il affirme que les juridictions du travail ont dûment pesé les intérêts en jeu en relevant notamment l'incompatibilité avec ses devoirs professionnels de l'engagement de la requérante – dépassant la simple appartenance – en faveur de l'Eglise universelle, et la durée relativement courte de son emploi par l'Eglise protestante. Il insiste sur le fait que la requérante a signé de son plein gré son contrat de travail et qu'elle a ainsi accepté des limites à ses droits, ce qui serait possible au regard de la Convention. Dès son embauche, l'intéressée aurait donc été informée de l'impossibilité pour elle de collaborer avec l'Eglise universelle dont les objectifs seraient en contradiction avec ceux de l'Eglise protestante. Ces obligations de loyauté auraient inévitablement influé sur la liberté de religion de la requérante dès lors que son employeur était une Eglise. En conclusion, d'après le Gouvernement, une paroisse protestante qui gère un jardin d'enfants doit pouvoir exiger de ses éducatrices qu'elles abordent des questions de foi pendant leur travail et qu'elles y apportent des réponses dans la perspective protestante. Cette exigence serait essentielle pour la crédibilité de l'Eglise employeur à l'égard du public et de ses propres membres et correspondrait aux attentes des parents des enfants fréquentant le jardin d'enfants.
33. Le Gouvernement affirme que les communautés religieuses jouissent de la même protection au regard de la Convention que les individus. De telles communautés seraient également l'expression particulière du mode d'existence des individus. Il s'agirait non pas de donner priorité à l'individu ou à une organisation, mais de mettre en balance d'une manière juste et équitable des positions opposées. Le Gouvernement précise enfin que, contrairement aux allégations de la requérante, les Eglises, lorsqu'elles exercent des activités dans le domaine social, reçoivent des allocations ou subventions de la part des autorités publiques au même titre que toute autre institution ou association proposant de tels services.
c) Les tierces parties intervenantes
34. Les Eglises protestantes de Bade et d'Allemagne souscrivent pour l'essentiel aux conclusions du Gouvernement. Selon elles, l'existence autonome des communautés religieuses est indispensable au maintien du pluralisme religieux dans une société démocratique. C'est aux Eglises qu'il incomberait de déterminer la façon dont elles s'organisent et de décider de l'importance que des préceptes revêtent pour elles et leurs membres. Ces préceptes devraient être respectés par les autorités étatiques séculières comme faisant partie de l'identité de l'Eglise, même dans le cas où des standards plus laxistes pourraient être appliqués au regard de la loi et des convictions laïques. Par ailleurs, alors qu'une personne ne partageant pas les convictions de son Eglise employeur pourrait trouver un autre emploi et conserver ses croyances, une Eglise ne pourrait pas changer ses convictions. Si elle devait continuer à employer des personnes dont les croyances sont incompatibles avec les siennes, elle perdrait son identité.
35. Les tierces parties précisent que leurs activités dans le domaine social sont l'expression de l'exercice de leur liberté de religion. Aussi, leurs employés devraient en principe appartenir à l'une des Eglises protestantes membre soit de l'Eglise protestante d'Allemagne soit de la Communion d'Eglises protestantes en Europe. Lorsque la nature du poste le permet, des personnes membres d'une autre Eglise chrétienne auraient la possibilité d'être embauchées. Ainsi, en ce qui concerne le travail dans un jardin d'enfants, une personne membre d'une Eglise évangélique libre, dont les Eglises baptistes, pourrait être embauchée dès lors qu'elle s'engagerait à accepter la compréhension protestante du baptême. En outre, des personnes n'appartenant à aucune Eglise pourraient obtenir un emploi lorsque leur domaine d'activité est loin de toute mission de proclamation (cuisine, nettoyage, assistance administrative, etc.).
2. L'appréciation de la Cour
36. La Cour rappelle que si la liberté de religion relève d'abord du for intérieur, elle implique de surcroît, notamment, celle de manifester sa religion, individuellement ou collectivement, en privé ou en public. En outre, la liberté de religion comporte en principe le droit d'essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d'un enseignement, sans quoi du reste la liberté de changer de religion risquerait de demeurer lettre morte. La Cour rappelle aussi qu'à la différence du second paragraphe des articles 8, 10 et 11, celui de l'article 9 ne vise que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions. L'article 9 § 2 constate de la sorte que, dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d'une même population, il peut se révéler nécessaire d'assortir cette liberté de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun (voir, parmi d'autres, Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 993, §§ 31-33, série A no 260-A).
37. En l'espèce, la Cour observe d'abord que la requérante se plaint non pas d'une action de l'Etat, mais d'un manquement de celui-ci à protéger son droit à la liberté de religion contre l'ingérence de son employeur. A ce propos, elle note d'emblée que l'Eglise protestante de Bade, en dépit de son statut de personne morale de droit public en droit allemand, n'exerce aucune prérogative de puissance publique (Rommelfanger, décision précitée, et aussi, mutatis mutandis, Finska Församlingen i Stockholm et Teuvo Hautaniemi c. Suède, décision de la Commission du 11 avril 1996, no 24019/94, et Predota c. Autriche (déc.), no 28962/95, 18 janvier 2000).
38. La Cour rappelle ensuite que, si de nombreuses dispositions de la Convention ont essentiellement pour objet de protéger l'individu contre toute ingérence arbitraire des autorités publiques, il peut en outre exister des obligations positives inhérentes à un respect effectif des droits concernés (Özgür Gündem c. Turquie, no 23144/93, § 41, CEDH 2000-III). Elle réaffirme que de telles obligations peuvent aussi s'imposer sur le terrain de l'article 9 de la Convention (Membres (97) de la Congrégation des témoins de Jéhovah de Gldani c. Géorgie, no 71156/01, § 134, CEDH 2007-V). Ces obligations peuvent nécessiter l'adoption de mesures visant au respect de la liberté de religion jusque dans les relations des individus entre eux. Si la frontière entre les obligations positives et négatives de l'Etat au regard de l'article 9 ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu, l'Etat jouissant en toute hypothèse d'une marge d'appréciation (voir, mutatis mutandis, Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, §§ 75-76, CEDH 2007-IV, Rommelfanger, décision précitée ; voir aussi Fuentes Bobo c. Espagne, no 39293/98, § 38, 29 février 2000).
39. La Cour rappelle en outre que la marge d'appréciation reconnue à l'Etat est plus large lorsqu'il n'y a pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe, que ce soit sur l'importance relative des intérêts en jeu ou sur les meilleurs moyens de les protéger. De façon générale, la marge est également ample lorsque l'Etat doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou différents droits protégés par la Convention (Evans, précité, § 77).
40. La question principale qui se pose en l'espèce est donc de savoir si l'Etat était tenu, dans le cadre de ses obligations positives découlant de l'article 9, de reconnaître à la requérante le droit à sa liberté de religion contre la mesure de licenciement prononcée par l'Eglise protestante. Dès lors, c'est en examinant la mise en balance effectuée par les juridictions du travail allemandes de ce droit de la requérante avec le droit de l'Eglise protestante découlant des articles 9 et 11 que la Cour appréciera si la protection offerte à la requérante a atteint ou non un degré satisfaisant.
41. A cet égard, la Cour rappelle que les communautés religieuses existent traditionnellement et universellement sous la forme de structures organisées et que, lorsque l'organisation d'une de ces communautés est en cause, l'article 9 doit s'interpréter à la lumière de l'article 11 de la Convention, qui protège la vie associative contre toute ingérence injustifiée de l'Etat. En effet, l'autonomie de telles communautés, indispensable au pluralisme dans une société démocratique, se trouve au cœur même de la protection offerte par l'article 9. La Cour rappelle en outre que, sauf dans des cas très exceptionnels, le droit à la liberté de religion tel que l'entend la Convention exclut toute appréciation de la part de l'Etat sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d'expression de celles-ci (Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, §§ 62 et 78, CEDH 2000-XI). Enfin, lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l'Etat et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d'accorder une importance particulière au rôle du décideur national (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 109, CEDH 2005-XI).
42. La Cour relève d'abord qu'en mettant en place un système de juridictions du travail ainsi qu'une juridiction constitutionnelle compétente pour contrôler les décisions rendues par celles-ci, l'Allemagne a en principe respecté ses obligations positives à l'égard des justiciables dans le domaine du droit du travail, domaine où les litiges peuvent toucher les droits découlant de l'article 9 de la Convention. Aussi, en l'espèce, la requérante a eu la possibilité de porter son affaire devant le juge du travail appelé à examiner la licéité du licenciement litigieux sous l'angle du droit du travail étatique en tenant compte du droit du travail ecclésiastique, et à mettre en balance les intérêts divergents de la requérante et de l'Eglise employeur (voir, mutatis mutandis, Schüth c. Allemagne, no 1620/03, § 59, CEDH 2010-..., et Obst c. Allemagne, no 425/03, § 45, CEDH 2010-... (extraits)).
43. La Cour observe que les juridictions du travail se sont amplement référées aux principes établis par la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt du 4 juin 1985 (voir Schüth précité, § 35, ou Obst précité, § 26). Elles ont notamment rappelé que, si l'applicabilité du droit du travail étatique n'avait pas pour effet de soustraire les relations de travail du domaine des affaires propres des Eglises, le juge du travail n'était lié par les principes fondamentaux des prescriptions religieuses et morales des employeurs ecclésiaux qu'à la condition que ces prescriptions tiennent compte de celles établies par les Eglises constituées et qu'elles ne soient pas en contradiction avec les principes fondamentaux de l'ordre juridique.
44. En ce qui concerne l'application de ces critères au cas de la requérante, la Cour note que les juridictions du travail ont relevé qu'en vertu de son contrat de travail et des réglementations régissant celui-ci la requérante n'avait le droit ni d'appartenir ni de participer à une organisation dont les objectifs étaient en contradiction avec la mission de l'Eglise protestante, laquelle pouvait imposer à ses employés de s'abstenir d'activités mettant en doute leur loyauté envers elle et d'adopter une conduite professionnelle et privée conforme à ces exigences. D'après les juridictions du travail, compte tenu des déclarations signées par la requérante et de l'incompatibilité des enseignements de l'Eglise universelle avec ceux de l'Eglise protestante, l'intéressée n'offrait plus la garantie qu'elle respectait les idéaux de son employeur. A cet égard, la Cour fédérale du travail a souligné que la requérante, qui avait par ailleurs fait preuve d'une attitude rigide lors des entretiens préalables à son licenciement, n'était pas seulement membre de l'Eglise universelle mais qu'elle avait proposé des cours d'initiation et qu'elle figurait comme personne de contact sur le formulaire d'inscription à des cours d'enseignements fondamentaux pour « l'apprentissage spirituel supérieur ». L'Eglise protestante pouvait de ce fait craindre à raison que l'engagement de la requérante eût des répercussions sur son travail, d'autant qu'un séminaire de l'Eglise universelle portant sur un sujet d'éducation devait avoir lieu dans les locaux du jardin d'enfants. La Cour fédérale du travail en a conclu que l'intérêt de la requérante d'être maintenue dans son poste devait dès lors céder devant celui de l'Eglise protestante de rester crédible aux yeux du public et des parents des enfants fréquentant le jardin d'enfants, et d'éviter tout risque d'influence sur des enfants par une éducatrice membre d'une confession en contradiction avec les préceptes de l'Eglise protestante gérant le jardin d'enfants. La Cour observe aussi que les juridictions du travail ont pris en compte la durée relativement courte de l'emploi de la requérante et le jeune âge de celle-ci.
45. La Cour observe que les juridictions se sont livrées à un examen approfondi des circonstances de l'affaire et qu'elles sont parvenues à une mise en balance circonstanciée des intérêts divergents en jeu. Le fait qu'elles ont considéré que le point de vue décisif quant à la question de la compatibilité de l'appartenance de la requérante à l'Eglise universelle avec son engagement dans l'Eglise protestante était celui de l'Eglise employeur et qu'elles ont finalement accordé plus de poids aux intérêts de l'Eglise qu'à ceux de la requérante ne saurait, aux yeux de la Cour, soulever en soi un problème au regard de la Convention (voir Obst précité, § 49). A cet égard, la Cour note que, selon les critères établis par la Cour constitutionnelle fédérale en 1985, auxquels les juridictions de travail se sont amplement référées en l'espèce, le juge du travail n'est pas lié sans limite aux prescriptions des Eglises et communautés religieuses employeurs, mais qu'il doit veiller à ce qu'en appliquant ces prescriptions il ne se mette pas en contradiction avec les principes fondamentaux de l'ordre juridique et à ce que les Eglises et communautés religieuses n'imposent pas à leurs employés des obligations de loyauté inacceptables. Elle observe au demeurant que la Cour constitutionnelle fédérale, dans sa décision rendue dans la présente affaire, a estimé que la requérante ne mettait pas vraiment en cause la jurisprudence constante des juridictions du travail en la matière issue de l'arrêt de principe de 1985, mais qu'elle se plaignait davantage de la mise en balance des intérêts en jeu dans son cas.
46. Aux yeux de la Cour, les conclusions des juridictions du travail ne paraissent pas déraisonnables. En effet, l'intéressée était ou devait être consciente, lors de la signature de son contrat de travail et notamment du paragraphe 2 b, qui renvoyait à l'article 6 § 3 des réglementations, du fait que son appartenance à l'Eglise universelle et ses activités en faveur de celle-ci étaient incompatibles avec son engagement dans l'Eglise protestante (voir, mutatis mutandis, Ahtinen c. Finlande, no 48907/99, § 41, 23 septembre 2008). Que le licenciement en cause ait été fondé sur un comportement adopté par la requérante en dehors de la sphère professionnelle ne saurait avoir de poids en l'espèce. La Cour note que la nature particulière des exigences professionnelles imposées à la requérante résulte du fait qu'elles ont été établies par un employeur dont l'éthique est fondée sur la religion ou les convictions (voir la directive 78/2000/CE, Schüth précité, § 40, ou Obst précité, § 27, et aussi Lombardi Vallauri c. Italie, no 39128/05, § 41, CEDH 2009-...). A cet égard, elle estime que les juridictions du travail ont suffisamment démontré que les obligations de loyauté étaient acceptables en ce qu'elles avaient pour but de préserver la crédibilité de l'Eglise protestante à l'égard du public et des parents des enfants du jardin d'enfants (voir, mutatis mutandis, Obst précité, § 51).
47. En conclusion, eu égard à la marge d'appréciation de l'Etat en l'espèce (paragraphe 39 ci-dessus) et notamment au fait que les juridictions du travail devaient ménager un équilibre entre plusieurs intérêts privés, la Cour estime qu'en l'espèce l'article 9 de la Convention n'imposait pas à l'Etat allemand d'offrir à la requérante une protection supérieure.
48. Partant, il n'y a pas eu violation de cet article en l'espèce.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
49. La requérante dénonce une violation de l'article 14 combiné avec l'article 9 de la Convention. Elle avance que sa confession catholique d'origine n'a jamais soulevé de problèmes de loyauté, quand bien même les vues dogmatiques de l'Eglise catholique différeraient plus de celles de l'Eglise protestante que celles de l'Eglise universelle.
50. Le Gouvernement plaide le non-épuisement des voies de recours internes. Selon lui, la requérante n'a soulevé aucun grief tiré d'une discrimination devant la Cour constitutionnelle fédérale, au sens de l'article 3 de la Loi fondamentale, mais s'est bornée à alléguer dans le cadre de ses conclusions concernant l'article 4 de la Loi fondamentale que la Cour fédérale du travail avait catalogué l'Eglise universelle par rapport à l'Eglise catholique.
51. La Cour rappelle que l'article 35 § 1 de la Convention exige qu'un requérant ait formulé au moins en substance devant les juridictions internes les griefs qu'il entend par la suite présenter à la Cour (Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A no 200). Elle rappelle aussi qu'en ce qui concerne des requêtes dirigées contre la République fédérale d'Allemagne, le recours constitutionnel devant la Cour constitutionnelle fédérale est en principe un recours effectif, au sens de l'article 13 de la Convention, qu'un requérant doit introduire avant de saisir la Cour (voir, en dernier lieu, Marchitan c. Allemagne (déc.), no 22448/07, 19 janvier 2010). Elle observe, à l'instar du Gouvernement, que, dans ses conclusions présentées à la Cour constitutionnelle fédérale, la requérante ne s'est explicitement plainte, tant dans l'introduction que dans la partie en droit, que d'une violation des articles 4 § 1 et 12 § 1 de la Loi fondamentale. L'intéressée n'a pas cité l'article 3 de la Loi fondamentale consacrant le droit à l'égalité de traitement ni n'a formulé des conclusions portant sur une possible discrimination, comme elle l'a fait – de manière succincte, il est vrai – devant la Cour.
52. La Cour estime que les deux alinéas figurant dans les conclusions du recours constitutionnel sous l'article 4 de la Loi fondamentale (paragraphe 18 ci-dessus) ne sauraient suffire pour considérer que la requérante, représentée par un avocat, a soulevé, ne serait-ce qu'en substance, le grief tiré d'une discrimination (voir, mutatis mutandis, Adam et autres c. Allemagne (déc.), no 290/03, 1er septembre 2005, et les références qui y sont faites).
53. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare le grief tiré de l'article 9 de la Convention recevable et le restant de la requête irrecevable ;
2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 9 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 février 2011 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia
Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président
ARRÊT SIEBENHAAR c. ALLEMAGNE
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