EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE DIMITRAS ET AUTRES c. GRÈCE (No 3)
(Requêtes nos 44077/09, 15369/10 et 41345/10)
ARRÊT
STRASBOURG
8 janvier 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Dimitras et autres c. Grèce (no 3),
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Isabelle Berro-Lefèvre,
présidente,
Elisabeth Steiner,
Nina Vajić,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
juges,
et de Søren Nielsen,
greffier de
section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouvent trois requêtes (nos 44077/09, 15369/10 et 41345/10) dirigées contre la République hellénique et dont huit ressortissants de cet Etat, M. Panayote Dimitras, Mme Andrea Gilbert, MM. Nikolaos Mylonas, Grigoris Vallianatos, Mmes Evangelia Vlami, Antonia Papadopoulou, Nafsika Papanikolatou et M. Dimitris Tsabrounis, (« les requérants »), ont saisi la Cour les 23 juillet 2009, 4 février et 12 juillet 2010 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par une organisation non-gouvernementale, le Greek Helsinki Monitor, ayant son siège à Glyka Nera. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, Mme K. Paraskevopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat et M. I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3. Les requérants allèguent une violation des articles 6, 8, 9, 13 et 14 de la Convention.
4. Le 23 septembre 2011, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérants sont nés respectivement en 1953, 1947, 1958, 1956, 1961, 1977, 1955 et 1966 et résident à Glyka Nera Attikis. Ils sont membres de Greek Helsinki Monitor, une organisation non-gouvernementale déployant ses activités dans le champ de la défense des droits de l’homme. En cette qualité, ils ont participé à vingt-deux reprises, entre le 23 janvier et le 9 juin 2009, à douze reprises, entre le 14 août et le 26 novembre 2009, et à quatorze reprises, entre le 7 janvier et le 18 juin 2010 en tant que témoins, plaignants ou suspects d’avoir commis des infractions pénales en audience publique ou en chambre du conseil, à des procédures pénales ayant un intérêt pour la protection des droits de l’homme. Les requérants se présentaient soit devant un juge d’instruction, soit devant un procureur, soit devant un tribunal compétent pour être entendus, ce qui impliquait pour eux, dans la plupart des cas, la prestation de serment conformément à l’article 218 du code de procédure pénale.
6. Dans la plupart des cas, l’autorité judiciaire compétente invitait les requérants à poser la main droite sur l’Evangile et à prêter serment. Les requérants indiquaient qu’ils n’étaient pas chrétiens orthodoxes et/ou qu’ils ne souhaitaient pas révéler leurs convictions religieuses et qu’ils préféraient faire une déclaration solennelle. En vertu de l’article 220 du code de procédure pénale, leur demande fut accueillie à chaque fois par l’organe judiciaire compétent.
7. A certaines occasions, lors d’auditions qui n’impliquaient pas de prestation de serment, les requérants durent déclarer être athées, ou en général non-orthodoxes, afin de demander la correction de la mention « chrétien orthodoxe » figurant dans le texte standard du procès-verbal d’audition.
8. En ce qui concerne les procédures pénales qui ne se sont pas déroulées en audience publique, les requérants affirment que, selon le droit interne, l’accès aux documents du dossier n’est pas autorisé avant la clôture de l’instruction. Ils produisent dans ces cas certains formulaires de procès-verbaux comportant un texte standard dans lequel le terme « chrétien orthodoxe » est rayé et remplacé par celui d’athée.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La Constitution
9. L’article 13 de la Constitution hellénique dispose :
« 1. La liberté de conscience religieuse est inviolable. La jouissance des libertés publiques et des droits civiques ne dépend pas des convictions religieuses de chacun.
2. Toute religion connue est libre, et les pratiques de son culte s’exercent sans entrave sous la protection des lois. Il n’est pas permis que l’exercice du culte porte atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Le prosélytisme est interdit.
3. Les ministres de toutes les religions connues sont soumis à la même surveillance de la part de l’Etat et aux mêmes obligations envers lui que ceux de la religion dominante.
4. Nul ne peut, en raison de ses convictions religieuses, être dispensé de l’accomplissement de ses obligations envers l’Etat ou refuser de se conformer aux lois.
5. Aucun serment n’est imposé qu’en vertu d’une loi qui en détermine aussi la formule. »
B. Le code de procédure pénale
10. A l’époque des faits, les dispositions pertinentes du code de procédure pénale prévoyaient :
Article 217
Vérification de l’identité du témoin
« Le témoin, avant son audition, est invité à fournir ses nom(s) et prénom(s), son lieu de naissance, son adresse de résidence, son âge et sa religion (...) »
Article 218
Prestation de serment lors de l’audience
« 1. Tout témoin doit, sous peine de nullité de la procédure, prêter serment en public avant d’être entendu lors d’une audience, en posant sa main droite sur l’Evangile, en prononçant ce qui suit : « Je jure devant Dieu de dire toute la vérité et uniquement la vérité sans rien ajouter ni dissimuler. »
( ...) »
Article 220
Prestation de serment des hétérodoxes
« 1. Si le témoin croit à une religion reconnue ou simplement tolérée par l’Etat, la forme connue du serment, si celui-ci existe, est valide dans le cadre de la procédure pénale.
Si le témoin croit à une religion qui ne permet pas la prestation de serment ou si le juge d’instruction ou le tribunal sont convaincus, après déclaration de l’intéressé, que celui-ci ne croit à aucune religion, le serment est ce qui suit : « Je déclare, invoquant mon honneur et ma conscience, que je dirai toute la vérité et uniquement la vérité sans rien ajouter ni dissimuler. »
11. Le 2 avril 2012, la loi no 4055/2012 est entrée en vigueur. L’article 39 §§ 2 et 3 de cette loi a apporté des modifications aux articles 217 et 218 du code de procédure pénale. En particulier, l’article 39 §§ 2 et 3 de la loi no 4055/2012 dispose ce qui suit :
« (...)
2. Le premier alinéa de l’article 217 du code de procédure pénale est modifié comme suit :
‘Le témoin, avant son audition, est invité à fournir ses nom(s) et prénom(s), son lieu de naissance, son adresse de résidence ainsi que son âge (...)’
3. L’article 218 du code de procédure pénale est modifié comme suit :
‘1. Avant son audition le témoin doit prêter serment. Il est ainsi demandé s’il préfère prêter un serment religieux ou faire une déclaration solennelle. (...)’
(...) »
12. En outre, en vertu de l’article 109 § 1 de la loi no 4055/2012, l’article 220 du code de procédure pénale a été abrogé.
C. Le code de procédure civile
13. La partie pertinente de l’article 408 du code de procédure civile dispose :
« Avant son audition le témoin doit prêter serment. Il est ainsi demandé s’il préfère prêter un serment religieux ou faire une déclaration solennelle.
(...) »
EN DROIT
I. JONCTION DES AFFAIRES
14. Compte tenu de la similitude des requêtes quant aux faits et à la question de fond qu’elles posent, la Cour décide de les joindre et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8, 9, 13 ET 14 DE LA CONVENTION
15. Les requérants se plaignent qu’à plusieurs reprises, lors des procédures de prestation de serment devant des instances judiciaires, ils ont été obligés de révéler leurs convictions religieuses. En outre, ils se plaignent qu’ils ne disposaient en droit interne d’aucun recours au travers duquel ils auraient pu soulever leurs griefs tirés de la prétendue violation de leur liberté de religion. Les requérants invoquent les articles 8, 9, 13 et 14 de la Convention. La Cour examinera leurs griefs uniquement sous l’angle des dispositions pertinentes en l’espèce, à savoir les articles 9 et 13 de la Convention. Ceux-ci sont ainsi libellés :
Article 9
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
16. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elles ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
B. Sur le fond
17. Le Gouvernement affirme notamment que l’option entre différents types de serments ou d’affirmations solennelles, prévue par l’article 220 § 2 du code de procédure pénale, n’implique pas nécessairement que l’organe judiciaire compétent oblige l’intéressé à révéler à chaque fois s’il est ou non chrétien orthodoxe. Le Gouvernement affirme que, selon la pratique judiciaire, le juge pénal n’invite pas l’intéressé à expliquer les raisons pour lesquelles il ne souhaite pas prêter serment. Celui-ci n’a qu’à choisir entre la prestation de serment et l’affirmation solennelle pour accomplir ses devoirs dans le cadre du procès pénal.
18. La Cour relève qu’elle a déjà examiné à deux reprises des requêtes introduites par certains des requérants à la présente affaire qui concernaient également la prestation de serment dans des procédures pénales antérieures à celles concernées en l’espèce (Dimitras et autres c. Grèce, nos 42837/06, 3237/07, 3269/07, 35793/07 et 6099/08, 3 juin 2010, et Dimitras et autres c. Grèce (no 2), nos 34207/08 et 6365/09, 3 novembre 2011). Dans ces arrêts, elle s’est prononcée sur des questions identiques à celles soulevées par la présente affaire à l’égard des articles 9 et 13 de la Convention et a constaté la violation de ces dispositions (Dimitras et autres, § 88, et Dimitras et autres (no 2), § 36, arrêts précités).
19. La Cour rappelle, en particulier, que dans les arrêts susmentionnés elle a considéré qu’il y avait eu une ingérence dans l’exercice par les requérants de leur liberté de religion protégée par l’article 9 de la Convention. Elle a admis que les requérants avaient été considérés par les juridictions compétentes par principe comme chrétiens orthodoxes et qu’ils avaient dû indiquer, soit en audience soit in camera, qu’ils n’appartenaient pas à cette religion et, à certaines reprises, qu’ils étaient athées ou d’une autre confession pour procéder à la rayure du texte standard dans les procès-verbaux (Dimitras et autres, § 80, et Dimitras et autres (no 2), § 29, arrêts précités).
20. En outre, dans les arrêts précités, la Cour s’est référée au cadre législatif réglementant à l’époque des faits la prestation de serment dans le contexte du procès pénal. La Cour a ainsi constaté que l’article 220 du code de procédure pénale, qui prévoit les exceptions à la règle posée par l’article 218 du même code, ne permettait pas au justiciable de se soustraire à l’obligation de prêter le serment religieux en optant simplement pour l’affirmation solennelle. Selon la Cour, la formulation même de l’article 220 impliquait la production d’informations plus précises sur ses convictions religieuses pour se voir soustraire à la présomption de l’article 218 (Dimitras et autres, § 80, et Dimitras et autres (no 2), § 31, arrêts précités).
21. Enfin, la Cour a relevé qu’à la différence du code de procédure pénale, l’article 408 du code de procédure civile prévoit que le témoin peut, à son gré et sans condition supplémentaire, choisir entre la prestation de serment religieux et l’affirmation solennelle. La Cour a noté une nette divergence du droit interne entre les procédures civile et pénale en ce qui concerne la procédure à suivre pour l’audition des témoins ; en effet, dans le cadre de la première, et à la différence de la seconde, le législateur a fait en sorte que la révélation des convictions religieuses de l’intéressé ne soit pas nécessaire lors de son audition comme témoin (Dimitras et autres, § 87, et Dimitras et autres (no 2), § 32, arrêts précités).
22. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis dans le cadre de la présente affaire, la Cour considère que le Gouvernement n’a pas exposé de faits ou arguments pouvant mener à une conclusion différente quant à la proportionnalité de l’ingérence à la liberté de religion des requérants dans le cas présent. En somme, et à la lumière de ce qui précède, la Cour confirme ses conclusions dans les arrêts Dimitras et autres, et Dimitras et autres (no 2) (précités, §§ 88 et 35 respectivement) et considère que les dispositions législatives appliquées en l’espèce, à savoir les articles 218 et 220 du code de procédure pénale, ont imposé aux requérants la révélation de leurs convictions religieuses afin de faire une affirmation solennelle, ce qui a porté atteinte à leur liberté de religion. La Cour conclut que l’ingérence litigieuse n’était pas justifiée dans son principe et proportionnée à l’objectif visé. En outre, cette constatation ne rend pas nécessaire l’examen des incidents relatés par les requérants au cas par cas.
23. Enfin, en ce qui concerne l’article 13 de la Convention, la Cour renvoie à ses considérations dans les arrêts précités (voir, Dimitras et autres, § 68, et Dimitras et autres (no 2), § 36). Elle relève aussi que le Gouvernement n’a fait état d’aucun autre recours que les requérants auraient pu exercer afin d’obtenir le redressement de la violation alléguée au titre de l’article 9 de la Convention et que les dispositions en cause du code de procédure pénale ont été modifiées après les faits litigieux. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’Etat a aussi manqué à ses obligations découlant de l’article 13 de la Convention.
Partant, il y a eu violation des articles 9 et 13 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
24. Les requérants se plaignent que la présence de symboles religieux dans les salles de tribunaux et le fait que les juges grecs sont des chrétiens orthodoxes contribuent à faire naître des doutes quant à leur impartialité objective, voire subjective. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, disposition ainsi libellée :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Sur la recevabilité
25. La Cour note d’emblée que, à supposer même que ce grief remplisse les conditions de recevabilité prévues par l’article 35 § 1 de la Convention, il n’est aucunement étayé. En outre, la Cour rappelle que le système de recours individuel prévu à l’article 34 de la Convention exclut les requêtes introduites par voie d’actio popularis. Les requêtes doivent donc être introduites par des personnes se prétendant victimes d’une ou de plusieurs dispositions de la Convention. Ces personnes doivent pouvoir démontrer qu’elles ont été directement affectées par la mesure incriminée. En l’occurrence, la Cour observe qu’il n’a pas été établi qu’un lien suffisamment direct existe entre les requérants en tant que tels et les violations alléguées de l’article 6 § 1 (voir Dimitras et autres, §§ 56 et 57, et Dimitras et autres (no 2), § 38).
Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION
26. Les articles 41 et 46 de la Convention disposent comme suit :
Article 41
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
Article 46
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.
... »
A. Dommage
27. Les requérants invitent la Cour, en vertu de l’article 46 de la Convention, à faire des recommandations précises au Gouvernement afin de modifier la procédure de prestation de serment dans le cadre du procès pénal. De surcroît, ils réclament conjointement et au total 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi en raison de la violation de leur liberté de religion et de l’absence de recours effectif à cet égard dans tous les incidents relatés dans la présente affaire.
28. Le Gouvernement se réfère aux conclusions de la Cour dans son arrêt Dimitras et autres (no 2) (précité, § 42) et affirme que le constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral subi.
29. En ce qui concerne la demande des requérants en vertu de l’article 46 de la Convention, la Cour rappelle que dans le cadre de l’exécution d’un arrêt en application de ladite disposition, un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique au regard de cette disposition de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir, autant que faire se peut, la situation antérieure à celle-ci. Il en découle notamment que l’Etat défendeur, reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles, est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne (Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 487, CEDH 2004-VII ; Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 198, CEDH 2004-II). De surcroît, il résulte de la Convention, et notamment de son article 1, qu’en ratifiant la Convention les Etats contractants s’engagent à faire en sorte que leur droit interne soit compatible avec celle-ci.
30. En l’occurrence, la Cour constate qu’à travers les articles 39 et 109 de la loi no 4055/2012, entrée en vigueur le 2 avril 2012, l’Etat défendeur a procédé respectivement à la modification des articles 217 et 218 du code de procédure pénale et l’abrogation de l’article 220 du même code. En particulier, il ressort de la nouvelle formulation des articles 217 et 218 du code de procédure pénale que le témoin n’est plus obligé de fournir des informations sur sa religion au tribunal avant son audition et qu’à l’instar de l’article 408 du code de procédure civile, il peut dorénavant, à son gré et sans condition supplémentaire, choisir entre la prestation de serment religieux et l’affirmation solennelle (voir paragraphes 11 et 12 ci-dessus).
31. En ce qui concerne la demande des requérants au titre de l’article 41 de la Convention, la Cour rappelle que la présente affaire soulève des questions identiques à celles posées par les arrêts Dimitras et autres et Dimitras et autres (no 2) (précités), dont certains des requérants sont également parties à cette affaire. En outre, la Cour relève que les requérants sont les représentants légaux de Greek Helsinki Monitor, une organisation non-gouvernementale déployant ses activités dans le champ de la défense des droits de l’homme. Il ressort – tant de leurs requêtes que de leurs demandes de satisfaction équitable – qu’à travers l’introduction de plusieurs requêtes sur lesquelles la Cour s’est déjà penchée dans le cadre des affaires Dimitras et autres, Dimitras et autres (no 2) (précitées) et de la présente, ils visaient principalement la modification de la procédure de prestation de serment dans le cadre du procès pénal. Dans ces circonstances, la Cour estime que le constat de violation des articles 9 et 13 de la Convention constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral éventuellement subi par les requérants. Cela est d’autant plus vrai que, comme il a été relevé ci-dessus, à travers la loi no 4055/2012, l’Etat défendeur a effectivement pris des mesures générales dans le but de rendre son cadre législatif compatible avec les considérations de la Cour dans les arrêts Dimitras et autres, et Dimitras et autres (no 2) (précités).
B. Frais et dépens
32. Les requérants sollicitent conjointement une somme totale de 3 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Ils produisent à l’appui une note détaillée de frais au nom de Greek Helsinki Monitor. Ils demandent à la Cour d’ordonner le versement de la somme en cause directement sur le compte de leur représentant, le Greek Helsinki Monitor.
33. Le Gouvernement affirme que cette demande doit être rejetée.
34. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, parmi d’autres, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 243, 12 septembre 2012). Compte tenu des documents en sa possession, des critères susmentionnés et des considérations de la Cour sur la satisfaction équitable quant au dommage moral éventuellement subi, la Cour accorde conjointement aux requérants la somme de 500 EUR au titre des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt. Cette somme sera à verser sur le compte bancaire de leur représentant, le Greek Helsinki Monitor (voir Dimitras et autres (no 2), précité, § 46).
C. Intérêts moratoires
35. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare les requêtes recevables quant aux griefs tirés des articles 9 et 13 de la Convention portant sur l’obligation des requérants de révéler leurs convictions religieuses lors des procédures de prestation de serment devant les instances judiciaires et sur l’absence de recours au travers duquel ils auraient pu soulever leurs griefs tirés de l’atteinte à leur liberté de religion, et irrecevables pour le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 9 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
5. Dit que le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral éventuellement subi par les requérants ;
6. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 500 EUR (cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, à verser sur le compte bancaire de leur représentant, le Greek Helsinki Monitor ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Isabelle
Berro-Lefèvre
Greffier Présidente