CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE ASSOCIATION DES CHEVALIERS DU LOTUS D’OR c. FRANCE
(Requête no 50615/07)
ARRÊT
STRASBOURG
31 janvier 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Association des Chevaliers du Lotus d’Or c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Mark Villiger,
président,
Ann Power-Forde,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal,
juges,
et de Claudia Westerdiek,
greffière
de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 janvier 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50615/07) dirigée contre la République française et dont une association de cet Etat, l’Association des Chevaliers du Lotus d’Or (« la requérante »), ayant pour liquidateur Mme B., a saisi la Cour le 14 novembre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me J.-P. Duhamel, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. La requérante allègue en particulier que la taxation des dons manuels à laquelle elle a été assujettie porte atteinte à son droit de manifester et d’exercer sa religion garanti par l’article 9 de la Convention.
4. Le 10 juillet 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. L’association requérante est une association à but non lucratif régie par la loi sur les contrats d’association du 1er juillet 1901. Créée en 1971, elle a pour objet le culte de l’aumisme, nouvelle religion, l’hébergement et la restauration des fidèles ainsi que la vente de livres et d’artisanat religieux. L’association a édifié des temples propres à chaque religion au sein du monastère du Mandarom à Castellane, dans l’attente de la construction du Temple Pyramide, qui devait être construit par une autre association (Association cultuelle du Temple Pyramide c. France, requête no 50471/07). A la suite de l’annulation du permis de construire du Temple Pyramide, la requérante décida de sa dissolution par une décision de son assemblée générale extraordinaire du 16 septembre 1995. Mme B. fut nommée liquidateur et chargée en cette qualité de « procéder à l’apurement des comptes, régler les dettes de l’association, percevoir les cotisations en retard et de veiller à la transmission des apports de [la requérante] à l’Association du Vajra Triomphant dont le but est similaire ». Lors de l’assemblée, la requérante décida de l’apport de tous ses biens meubles et immeubles à l’association du Vajra Triomphant (les biens immobiliers étant estimés à 300 000 francs (FRF), soit 45 734 euros (EUR)), ce qui se fit par acte notarié du 7 octobre 1995. Il fut également décidé « d’apporter l’intégralité de l’actif net à l’association du Vajra Triomphant [dont la création a été publiée au Journal officiel du 9 août 1995] dont l’objet est sensiblement le même » et précisé que, en contrepartie de ces apports, l’Association du Vajra Triomphant devra respecter les conditions suivantes : l’exercice public du culte de l’aumisme ; subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice du culte de l’aumisme; l’achat, la location, la construction ou l’entretien, le financement des édifices destinés au culte. L’acte ajouta que, en cas de dissolution de l’association bénéficiaire, les apports « seront obligatoirement transférés (...) à un organisme de même nature propageant l’aumisme et respectant toutes les conditions expresses d’affectation (...) ».
6. A la suite du rapport parlementaire sur les mouvements sectaires, intitulé « Les sectes en France » et rendu public le 22 décembre 1995, l’association requérante fit l’objet de deux contrôles fiscaux. L’administration constata la mention de « dons » dans la comptabilité de l’association et considéra de ce fait que ceux-ci lui avaient été « révélés » et qu’ils devaient donc être taxés.
A. Procédures fiscales
7. Concernant le premier redressement, le 28 septembre 1995, l’administration fiscale émit un avis de vérification de la comptabilité de l’association portant sur l’année 1992. Les opérations de contrôle se déroulèrent du 13 novembre au 15 décembre 1995. Lors de ce contrôle, l’administration découvrit l’existence de dons manuels inscrits dans la comptabilité de l’association. Le 12 décembre 1995, elle informa le liquidateur amiable du fait que ces dons étaient soumis aux droits de mutation à titre gratuit en application de l’article 757 du code général des impôts (CGI) (paragraphe 19 ci-dessous) et qu’elle disposait d’un mois pour les déclarer en vertu de l’article 635-A du CGI. La requérante, estimant que ses dons n’étaient pas soumis au droit d’enregistrement dès lors qu’ils n’avaient pas été révélés à l’administration, au sens de l’article 757 du CGI, ne procéda pas à la déclaration. L’administration, quant à elle, considéra que le simple fait de lui présenter sa comptabilité durant le contrôle fiscal, constituait une « révélation spontanée » de ces dons entraînant la taxation.
8. Le 11 mars 1996, la recette des impôts de Saint-André-les-Alpes mit l’association en demeure de déclarer les dons. Le 19 novembre 1996, elle lui envoya une deuxième mise en demeure. Le 20 mars 1997, elle lui notifia un redressement en matière de droits d’enregistrement : les dons manuels furent taxés à 60 %.
9. Concernant le deuxième redressement, l’administration émit un avis de vérification le 5 février 1996, portant sur les années 1993 à 1995. A la suite du contrôle, l’administration informa le liquidateur, le 11 mars 1996, de l’existence de dons taxables aux droits d’enregistrement et invita l’association à déposer une déclaration. Les 14 juin et 23 juillet 1996, la recette des impôts de Saint-André-les-Alpes mit l’association en demeure de déclarer ses dons. En l’absence de déclaration, elle lui notifia, le 20 mars 1997, sa taxation d’office au taux de 60 %.
10. En plus des redressements fiscaux, l’association se vit imposer une pénalité de 80 % du montant des dons reçus et un taux d’intérêt de retard de 0,75 % par mois. Ainsi, 36 886 EUR furent réclamés à l’association. Cette somme fut mise en recouvrement le 23 décembre 1998.
11. Le 18 décembre 2000, le liquidateur de l’association fit une réclamation concernant l’ensemble des impositions supplémentaires en matière de droits d’enregistrement. Le 11 juillet 2001, le directeur des services fiscaux rejeta cette demande.
12. Le 29 août 2001, l’association requérante assigna le directeur des services fiscaux devant le tribunal de grande instance (TGI) de Digne‑les‑Bains. Le 18 novembre 2003, celui-ci confirma la décision de rejet de la contestation de l’imposition.
13. Par un arrêt du 3 novembre 2005, la cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma ce jugement :
« Attendu que l’article 757 du code général des impôts – qui n’opère aucune distinction entre les personnes physiques ou morales –, prévoit en son alinéa 2 que le don manuel révélé à l’administration fiscale par le donataire est sujet aux droits de donation et n’exige pas l’aveu spontané du don de la part du donataire ; qu’en conséquence, la présentation par l’association appelante de sa comptabilité au vérificateur à l’occasion d’une vérification régulièrement menée par l’administration fiscale et alors que cet écrit établi par l’ACLO [l’association requérante] – fût-il la mise en œuvre de son obligation légale d’établissement et de présentation des documents comptables – sur lequel se trouvaient enregistrées des sommes d’argent qu’elle-même a qualifiées de dons, constitue une révélation au sens de l’article 757 alinéa 2, précité ; (...)
Attendu que faute par l’ACLO de justifier qu’elle a fait l’objet d’une reconnaissance en tant qu’association cultuelle par l’autorité administrative compétente, pas plus que d’une autorisation ministérielle ou préfectorale contemporaine du fait générateur de l’imposition, l’ACLO n’est pas fondée à invoquer l’exonération instituée par les dispositions de l’article 795-10o du code général des impôts ;
Attendu, outre que, comme il a été retenu plus haut, l’association ne démontre pas l’affectation des fonds litigieux à l’édifice d’un édifice cultuel, qu’elle ne justifie pas non plus l’effectivité de l’ouverture au public dudit édifice ;
Attendu que l’ACLO ne démontre ni même ne soutient avoir sollicité de l’autorité administrative l’autorisation visée à l’article 795-10o du code général des impôts – laquelle ne ressortit en toute hypothèse pas à la compétence des services fiscaux – et qui disposait en tout état de cause de toutes les voies de recours dans le cas d’un éventuel refus de délivrance de cette autorisation, ne saurait utilement se prévaloir de la méconnaissance des articles 9, 11 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, ni des principes d’égalité devant l’impôt et les charges publiques, d’égalité, de laïcité et de sécurité juridique, alors en outre que le taux de 60 % des droits de mutation à titre gratuit, qui est le taux de droit commun applicable entre personnes dépourvues de lien de parenté, ne constitue pas une distinction discriminatoire, dès lors qu’elle repose sur une justification objective et raisonnable ;
Attendu que les notifications de redressements adressées à l’appelante en matière de droits d’enregistrement dans le cadre du contrôle dont elle a fait l’objet sont la conséquence de l’absence de déclaration des dons reçus et de leur absence de présentation à l’enregistrement au moyen des formulaires de déclaration no 2735, malgré l’envoi de quatre courriers d’information concernant chacun une année soumise à taxation, puis de mises en demeure ci-dessus analysées, en sorte que la majoration de 80 % résulte de l’exacte application de l’article 1728-3o du code général des impôts, dès lors que l’ACTP n’a pas déposé les documents réclamés dans les trente jours suivant la réception des deuxièmes mises en demeure à elle notifiées par l’intimée. »
14. La requérante forma un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel du 3 novembre 2005. Dans ses moyens de cassation, elle fit valoir que la taxation litigieuse violait les articles 9, 11 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.
15. Le 15 mai 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi dans ces termes :
« (...) Mais attendu, en premier lieu, que l’article 757, alinéa 2, du code général des impôts qui prévoit que le don manuel révélé à l’administration fiscale par le donataire est sujet au droit de donation, n’exige pas l’aveu spontané du don de la part du donataire ; que la cour d’appel qui relève que l’association avait présenté au vérificateur sa comptabilité, écrit émanant du donataire sur lequel se trouvaient enregistrées des sommes d’argent qu’elle a qualifiées de dons manuels, a décidé à bon droit que cette présentation par l’association de sa comptabilité lors d’une vérification régulièrement menée par l’administration fiscale, fût-elle la mise en œuvre de l’obligation légale d’établissement et de présentation des documents comptables, valait révélation au sens de l’article 757, alinéa 2, précité et a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que l’arrêt retient que l’association ne saurait se prévaloir de la méconnaissance des articles 9, 11 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, ni des principes d’égalité devant l’impôt et les charges publiques, d’égalité, de laïcité et de sécurité juridique alors que le taux de 60 % des droits de mutation à titre gratuit, qui est le taux de droit commun applicable entre personnes dépourvues de lien de parenté, ne constitue pas une distinction discriminatoire dès lors qu’elle repose sur une justification objective et raisonnable ; (...)
Mais attendu qu’aux termes de l’article 795-10 du code général des impôts, sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit les dons et legs faits aux associations cultuelles, aux unions d’associations cultuelles et aux congrégations autorisées ; qu’après avoir relevé que l’association ne justifiait pas avoir fait l’objet d’une reconnaissance en tant qu’association cultuelle par l’autorité administrative compétente ni ne détenait une autorisation ministérielle ou préfectorale contemporaine du fait générateur de l’imposition, la cour d’appel qui n’avait pas à se prononcer sur le bien fondé des textes régissant le régime juridique des « dons manuels » aux associations cultuelles prévues par la loi du 9 décembre 1905 ou aux simples associations prévues par la loi du 1er juillet 1901, au sens des articles 9, 11 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, a décidé à bon droit que l’association ne pouvait bénéficier de l’exonération prévue par l’article 795-10 du code général des impôts ; que le moyen n’est pas fondé ; ».
16. Le 5 février 2009, la requérante, prise en la personne de son liquidateur, fit l’objet d’un commandement de payer valant saisie du terrain religieux du monastère du Mandarom en vertu des avis de mise en recouvrement émis dès 1998.
B. Action paulienne
17. L’administration fiscale engagea une action paulienne (paragraphe 20 ci-dessous) à l’encontre de la requérante. L’apport des biens fait à l’association du Vajra Triomphant fut alors déclaré inopposable à l’administration fiscale. Par un arrêt du 29 avril 2003, la cour d’appel d’Aix‑en-Provence considéra en effet que la requérante connaissait l’imminence du contrôle fiscal susceptible d’atteindre son patrimoine depuis janvier 1995 et avait ainsi fraudé avec intention de nuire pour porter préjudice à un créancier futur en organisant son insolvabilité. Elle prononça rétroactivement, au bénéfice de l’administration fiscale, la révocation de l’apport des biens.
18. Par un arrêt du 29 novembre 2005, la Cour de cassation déclara non admis le pourvoi introduit par la requérante contre l’arrêt du 29 avril 2003.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
19. Il est renvoyé à l’arrêt Association Les Témoins de Jéhovah c. France (fond) (no 8916/05, §§ 29 à 42, 30 juin 2011) qui expose le contexte de l’affaire et les dispositions pertinentes. Il est rappelé, pour l’essentiel, que les articles 757 et 795-10o du code général des impôts (CGI) étaient ainsi libellés :
Article 757 (tel que modifié par la loi no 91-1322 du 30 décembre 1991 art 15 II finances pour 1992 Journal Officiel du 31 décembre 1991)
« Les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d’un don manuel, sont sujets au droit de donation.
La même règle s’applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l’administration fiscale. »
Article 795
« Sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit :
(...)
10º Les dons et legs faits aux associations cultuelles, aux unions d’associations cultuelles et aux congrégations autorisées ; »
20. Une action paulienne est une voie de droit qui permet à un créancier d’attaquer un acte fait par son débiteur lorsque ce dernier a agi en fraude de ses droits. L’article 1167 du code civil prévoit ainsi que les créanciers « (...) peuvent aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
21. La requérante allègue que la taxation des dons manuels porte atteinte à son droit à manifester et exercer sa liberté de religion, tel que prévu par l’article 9 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
22. Le Gouvernement considère que le liquidateur de l’association n’a pas la capacité à agir devant la Cour et demande que la requête soit rejetée sur le fondement de l’article 34 de la Convention. Si le liquidateur poursuit la personnalité morale de l’association après sa liquidation et peut prétendre, en général, la représenter devant la Cour, ce n’est pas le cas en l’espèce. Le Gouvernement explique que le liquidateur outrepasse les limites de ses attributions lorsqu’il engage, au nom d’une association disparue, une action visant à faire reconnaître par la Cour une atteinte à la liberté religieuse. En effet, il ne semble pas agir en tant qu’héritier moral de la doctrine et du culte de l’aumisme dont la question de la libre expression se trouve au centre des débats. Son recours est au demeurant sans objet puisque l’association a entendu, par sa dissolution, renoncer à exercer toute activité cultuelle. Le Gouvernement en déduit qu’il ne peut se prétendre victime, même indirecte, d’une violation de la Convention. Plus largement encore, le Gouvernement s’interroge sur la recevabilité d’un recours visant à demander réparation d’une atteinte à la liberté religieuse au profit d’une association qui est maintenant dissoute de longue date. Il soutient que la requête qui vise le droit d’une association qui n’existe plus à exercer librement son culte est sans objet.
23. Le Gouvernement soulève une deuxième exception d’irrecevabilité tirée du non épuisement des voies de recours internes. Il estime que le liquidateur aurait pu, en application de l’article 1416 du nouveau code de procédure civile, engager un recours contre le commandement de payer émis le 5 février 2009 (paragraphe 16 ci-dessus).
24. La requérante fait observer que si la loi est muette quant aux pouvoirs du liquidateur, le principe de droit commun est, cependant, que la personnalité morale de l’association dissoute survit pour les besoins de sa liquidation, en agissant par son liquidateur, qui peut engager des actions en justice même postérieurement à la dissolution (Civ. 3, 4 oct 1995 ; Civ.1, 29 juin 1971). Ce faisant, le liquidateur avait nécessairement le pouvoir d’introduire une procédure pour contester les redressements notifiés par l’administration fiscale et de mener cette procédure à son terme, en exerçant tous les recours possibles, interne et européen. De fait, l’administration n’a jamais contesté l’aptitude du liquidateur pour l’assigner à cette fin devant les juridictions nationales. Par ailleurs, l’article 34 n’interdit pas d’introduire une requête au nom d’une association en liquidation. D’une part, pour la raison rappelée ci-dessus, d’un point de vue procédural, il n’y a pas de différence entre une personne morale en activité ou en liquidation. Par ailleurs, sur le fond, priver une personne morale de son droit d’accès à la Cour du seul fait qu’elle est en liquidation reviendrait à la priver a posteriori de l’effectivité du respect des droits garantis par la Convention. D’autre part, la requérante souligne que les violations de la Convention étaient déjà invoquées devant les juridictions internes et que c’est parce que ces moyens n’ont pas été accueillis qu’elle est conduite à saisir la Cour des mêmes violations. Enfin, la requérante relève que le point de savoir si elle a subi une atteinte à la liberté de religion est une question de fond qui ne peut déterminer la recevabilité de la requête et que les pouvoirs du liquidateur ne sont nullement limités aux actions purement patrimoniales. En toute hypothèse, dès lors que l’administration fiscale a le droit de vérifier une association dissoute, le liquidateur qui a la charge de payer les dettes de l’association, dans la mesure où elles sont fondées, a le droit de contester la taxation réclamée à l’association en soulevant tout moyen qu’il estime utile, notamment les violations de la Convention à l’origine de la taxation. D’autant qu’il s’agit de contester la taxation des dons perçus par l’association bien avant sa dissolution, de 1992 à 1995. La requérante soutient ainsi que sa dissolution, et la circonstance qu’elle n’exercera plus elle-même à l’avenir une activité cultuelle est sans incidence sur la recevabilité de la requête.
25. En réponse à la deuxième exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement, la requérante rappelle que deux de ses moyens en cassation portaient sur la violation alléguée des articles 9 et 14 de la Convention, et que le grief présenté maintenant devant la Cour a donc donné lieu à l’épuisement des voies de recours internes.
26. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle « pour qu’un requérant puisse se prétendre victime d’une violation de la Convention, il doit exister un lien suffisamment direct entre le requérant et la violation alléguée (...). La notion de « victime » est interprétée de façon autonome et indépendante des règles de droit interne telles que l’intérêt à agir ou la qualité pour agir (...). Cette notion n’implique pas l’existence d’un préjudice » (Stukus et autres c. Pologne, no 12534/03, § 34, 1er avril 2008 ; Tunnel Report Limited c. France, no 27940/07, § 24, 18 novembre 2010). Ainsi, par exemple, une société peut être victime d’une violation de la Convention car elle possède une personnalité juridique propre et dans le cas où cette société serait mise en liquidation, elle aurait aussi la capacité de défendre ses droits par le moyen d’un liquidateur (Agrotexim et autres c. Grèce, 24 octobre 1995, § 68, série A no 330‑A ; Carlo Papi c. Italie (déc.), no 44339/98, 12 avril 2001).
27. La Cour observe que la procédure relative à la taxation litigieuse devant l’ensemble des juridictions nationales concernait l’association requérante, en tant que personne morale représentée par son liquidateur. Ainsi la légitimité de la représentation du liquidateur a été admise par les juridictions du fond comme par la Cour de cassation, devant lesquelles sa qualité ou son intérêt à agir n’ont jamais été contestés. Ainsi que le rappelle la partie requérante, la personnalité morale d’une association dissoute subsiste pour les besoins de la liquidation et c’est au liquidateur désigné par celle-ci de la représenter dans une procédure et donc devant la Cour. Ce dernier peut donc valablement la représenter devant la Cour. Dans ces conditions, la requête est compatible ratione personae avec les dispositions de la Convention (a contrario, mutatis mutandis, Geneviève de Morlan et la Société Unic Services c France (déc), no 42724/98, 30 novembre 1999).
28. Quant à la question, soulevée par le Gouvernement, de la recevabilité du recours du fait de la dissolution de l’association requérante et de l’impossibilité qui en résulterait de faire valoir un droit de manifester ses croyances religieuses, la Cour estime qu’elle relève davantage du point de savoir si, en l’espèce, il y a eu ingérence ou pas dans ce droit (voir paragraphes 31 et suivants ci-dessous).
29. Concernant l’épuisement des voies de recours internes, la Cour partage l’avis de la requérante selon lequel les autorités nationales ont eu l’occasion de redresser la violation de la Convention présentement alléguée. Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement ne doit pas être retenue.
30. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Sur l’existence d’une ingérence
31. La requérante considère que la combinaison des procédures de taxation (paragraphes 7 et 9 ci-dessus) et de l’action paulienne (paragraphe 17 ci-dessus) constitue une ingérence dans son droit de manifester sa religion. Ces procédures, ainsi que le commandement de saisie du terrain religieux, l’ont privée de toute ressource lui permettant de réaliser son objet statutaire cultuel, que ce soit elle-même ou par l’intermédiaire de l’association d’objet sensiblement identique à laquelle elle avait transmis ses actifs. Elle explique qu’elle pouvait raisonnablement espérer que l’association du Vajra Triomphant poursuivrait son œuvre au service du culte de l’aumisme, en sorte que son objet social serait finalement réalisé, certes par une autre association d’objet similaire mais grâce à ses apports mobiliers et immobiliers; or ce but n’a pu être réalisé. Elle affirme que le montant total des dons reçus de 1992 à 1995 était de 32 665 EUR et rappelle que le montant du rappel notifié par l’administration était de 36 886 EUR. Elle précise que ceux-ci représentaient 2,2 % du montant total de ses ressources sur la période considérée qui s’élevaient à 1 459 610 EUR (cotisations, revenus d’hébergement).
32. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il conteste l’existence d’une ingérence car le principe de neutralité de l’Etat quant à la légitimité des croyances religieuses n’est pas absolu et ne permet pas de se soustraire à l’obligation de payer les taxes ou de s’acquitter de l’impôt. Le Gouvernement rappelle que la taxation porte sur un total de 36 886 EUR, auquel il a été ajouté les intérêts de retard de recouvrement, arrêtés à 15 031 EUR et qui ont fait l’objet d’une remise gracieuse en mars 2009.
33. La Cour rappelle que les dons manuels sont une source de financement importante d’une association et, qu’à ce titre, leur taxation peut avoir un impact sur sa capacité à mener son activité religieuse. Dans son arrêt Association les Témoins de Jéhovah, précité, pour constater l’existence d’une ingérence dans le droit à manifester et exercer sa liberté de religion, la Cour s’est fondée sur le montant des sommes dues par la requérante à l’administration fiscale, sur le fait que ce redressement avait eu pour effet de couper les ressources vitales de l’association, « laquelle n’était plus en mesure d’assurer concrètement à ses fidèles le libre exercice de leur culte », et que « les lieux de culte étaient eux-mêmes visés » (§ 53).
34. En l’espèce, la Cour observe que la taxation litigieuse a porté sur la totalité des dons manuels reçus pour la période considérée et que ceux-ci furent taxés au taux de 60 %, majoré d’une pénalité de 80 %, à l’instar de la majoration appliquée à l’imposition due par l’Association des Témoins de Jéhovah. Toutefois, ces dons représentaient une part très limitée des ressources de la requérante constituées principalement des cotisations et des revenus d’hébergement (paragraphe 31 ci-dessus) et la question se pose de savoir si les conséquences de la taxation sont suffisantes pour considérer qu’il y a eu ingérence dans son droit à manifester et exercer sa liberté de religion. A cet égard, la Cour relève que le redressement litigieux a entrainé des conséquences évidentes sur la continuité de l’exercice du culte de l’association requérante. En effet, bien que celle-ci ait été dissoute préalablement à ce redressement, il était parfaitement établi qu’elle transférait l’intégralité de son actif à une association dont l’objet était sensiblement le même, à charge pour celle-ci, avec l’apport du patrimoine de la requérante, de poursuivre l’exercice public de son culte comprenant notamment le financement des édifices liés au culte (paragraphe 5 ci‑dessus). Or, la taxation fiscale, l’action paulienne qu’a engagée l’administration fiscale par la suite et la délivrance d’un commandement de saisie du terrain religieux du monastère du Mandarom (paragraphe 16 ci‑dessus) ont nécessairement visé la pratique et les lieux de culte puisqu’elles ont empêché l’exécution de la décision du conseil d’administration prise au moment de la dissolution de la requérante et visant à la réalisation de son objet religieux par le biais d’une association ayant un objet similaire à laquelle elle avait, à cette fin et sous cette condition, transmis ses actifs. En conséquence, la Cour conclut à l’existence d’une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 9 de la Convention (mutatis mutandis, Association les Témoins de Jéhovah, précité, § 53).
35. Pareille ingérence méconnaît l’article 9 sauf si « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique ».
2. Sur la justification de l’ingérence
36. Cette ingérence n’était pas, selon la requérante, prévue par la loi. L’article 757 du CGI n’imposait nullement la taxation des dons manuels car ceux-ci ne pouvaient avoir été « révélés » au sens de cette disposition au cours des vérifications effectuées par l’administration fiscale. Cette disposition qui permet au contribuable d’éviter de subir une taxation d’office est conçue comme une faveur et nullement comme un piège qui se retournerait contre le donataire. La « révélation » ne peut donc être que volontaire pour déclencher l’assujettissement des dons manuels aux droits d’enregistrement. Par ailleurs, l’article 757 n’envisage l’hypothèse d’une « révélation » d’un don manuel que pour les personnes physiques. La requérante estime donc qu’elle n’était pas à même de prévoir l’ingérence litigieuse, ayant au surplus été la première association à subir un contrôle fondé sur l’interprétation abusive de l’article 757 du CGI. Elle ajoute que l’ingérence ne répondait à aucun but légitime puisque l’administration a utilisé le contrôle fiscal à des fins détournées sous le prétexte de lutter contre les sectes. Elle était enfin disproportionnée car la totalité des dons reçus ont été confisqués et que ceci, combiné avec l’action paulienne et une saisie immobilière, l’ont privée de réaliser son objet, le développement de la religion aumiste, elle-même ou par l’intermédiaire de l’association du Vajra Triomphant.
37. Le Gouvernement soutient que la mesure litigieuse était prévue par la loi. L’article 757 du CGI énumère limitativement les cas dans lesquels les dons manuels sont sujets à une taxation, parmi lesquels la révélation du don manuel par le donataire à l’administration fiscale depuis la loi du 30 décembre 1991. Par la suite, l’administration fiscale a précisé la notion de révélation dans l’instruction du 13 avril 1992 (7 G-3-92, publiée au Bulletin officiel des impôts le 29 avril 1992). Ainsi, la taxation ne résulte pas d’une doctrine nouvelle mais d’une évolution législative intervenue plusieurs années avant le contrôle dont a fait l’objet l’association requérante.
Selon le Gouvernement, la taxation poursuivait le but légitime de protection de l’ordre et des droits et liberté d’autrui et était proportionnée à ce but dès lors que l’association requérante s’était elle-même placée en dehors du dispositif légal d’exonération en ne demandant pas une autorisation préfectorale de percevoir des dons et legs.
38. La Cour rappelle que dans son arrêt Association les Témoins de Jéhovah (fond) précité, elle a conclu que la taxation des dons manuels dans des circonstances similaires à celle de la présente espèce ne satisfaisait pas à la condition de légalité prévue au paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention. Elle a considéré que le redressement fiscal appliqué en vertu de l’article 757 alinéa 2 du CGI tel qu’en vigueur à l’époque des faits était « imprévisible» en particulier parce que cette législation n’était pas suffisamment précise pour prévoir qu’elle était applicable aux personnes morales (paragraphe 69 de l’arrêt) et qu’un contrôle fiscal puisse être assimilé à une « révélation » d’un don manuel (paragraphe 70 de l’arrêt).
39. En l’espèce, la Cour constate que l’état du droit dans la présente affaire est le même que celui qui prévalait dans l’affaire Association les Témoins de Jéhovah et elle ne voit pas de raison en l’espèce de s’écarter de la conclusion à laquelle elle est parvenue dans celle-ci. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 9 de la Convention.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLEGUÉES DE LA CONVENTION
40. La requérante se plaint de ce que, à l’occasion de la taxation litigieuse, elle a subi une discrimination fondée sur la religion dans la jouissance de ses droits garantis par les articles 9 et 11 de la Convention. Elle allègue une violation de l’article 14, libellé en ces termes :
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
L’article 11 se lit ainsi :
Article 11
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »
La requérante se plaint également du fait que l’administration fiscale a porté une atteinte disproportionnée à son patrimoine et invoque l’article 1 du Protocole no 1, qui se lit ainsi :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
41. Selon la requérante, l’administration l’a soumis à un traitement distinct de celui réservé aux autres associations religieuses. A sa connaissance, seules cinq associations ont vu leurs dons manuels taxés à la suite d’un contrôle fiscal de l’administration qui a alors considéré ceux-ci comme « révélés » au sens de l’article 757 alinéa 2 du CGI. Cette pratique de l’administration a abouti à ce que seule une association contrôlée est taxée tandis qu’une association non contrôlée échappe aux droits de mutation. L’administration visait ainsi par un moyen détourné à lutter contre des associations cultuelles qualifiées de « sectes », voire à les détruire, alors qu’elles ne sont que religions minoritaires et nouvelles. Quant à la violation alléguée de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 11, la requérante fait valoir que l’entrave à sa décision de remise de ses biens à une association ayant un objet similaire pour assurer la réalisation de son objet constitue une atteinte à sa liberté d’association. Elle soutient qu’elle n’était pas prévue par la loi pour les raisons indiquées plus haut à propos de la violation alléguée de l’article 9. Par ailleurs, l’ingérence n’était pas nécessaire, l’association requérante précisant qu’elle n’est pas une secte et que l’Etat dispose en tout état de cause d’instruments juridiques de lutte contre les sectes (dissolution, poursuites pénales, etc.). Enfin, elle était discriminatoire puisque que l’administration l’a soumise à un traitement distinct de celui des autres associations sans motif légitime.
42. Le Gouvernement soutient que les dispositions des articles 757 et 795-10o du CGI sont les mêmes pour tous. En effet, les dons manuels visés à l’article 757 sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit dans les mêmes conditions que les autres donations et les taux applicables sont ainsi identiques à ceux prévus pour les successions. Par ailleurs, l’exonération de droits de mutation à titre gratuit en faveur des dons et legs reçus par les associations cultuelles prévue par l’article 795-10o du CGI répond parfaitement aux critères définis par la Cour. D’une part, elle est objective puisqu’elle s’applique de manière uniforme à toutes les associations cultuelles ; d’autre part, elle est raisonnable puisque, au regard des avantages pratiques et fiscaux attachés à ce régime, il est légitime que l’Etat pose des critères permettant de limiter ces avantages aux seules associations autorisées à recevoir des dons et legs. Le Gouvernement réitère à cet égard que c’est la requérante qui s’est placée en dehors du dispositif légal d’exonération en s’abstenant de solliciter à l’époque des faits les autorisations préfectorales. Le Gouvernement soutient enfin que la requérante n’établit aucun lien de causalité entre la politique menée par l’Etat français contre les dérives sectaires et le redressement en cause et s’en remet à une décision de la Cour déclarant irrecevable une requête formée par la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France dirigée contre la publication de rapports de commissions parlementaires et d’un projet de loi tendant à renforcer la prévention et la répression à l’encontre des groupements à caractère sectaire (Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France c. France (déc), no 53430/99, 6 novembre 2001).
Quant à la violation alléguée de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 11, le Gouvernement rappelle que seules les associations cultuelles qui sont autorisées à recevoir des donations et legs peuvent bénéficier de l’exonération prévue à l’article 795-10o, ce qui permet de vérifier que la loi de 1905 est respectée et que les deniers publics sont utilisés par une association dont l’objet est effectivement l’exercice exclusif d’un culte ne portant pas atteinte à l’ordre public. En plus de ce but légitime, la différence de traitement est raisonnable puisque l’Etat pose des critères permettant de limiter les avantages aux seules associations réellement cultuelles. Encore une fois, le Gouvernement conclut que l’absence de reconnaissance de l’association requérante en tant qu’association cultuelle, à défaut de demande de sa part formulée au moment des faits, a pour effet de la maintenir dans le régime juridique et fiscal de droit commun des associations et que ceci ne peut être considéré comme une atteinte à sa liberté d’association.
43. La Cour observe que ces griefs sont liés à celui examiné ci-dessus et qu’ils doivent être en conséquence déclarés recevables.
44. Compte tenu de son raisonnement sur le terrain de l’article 9 de la Convention et de la conclusion à laquelle elle est parvenue, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner séparément si les faits de la cause emportent également violation de l’article 14 de la Convention et de l’article 1 du protocole no1 (mutatis mutandis, Leela Förderkreis e.V. et autres c. Allemagne, no 58911/00, § 105, 6 novembre 2008).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
45. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
46. La requérante réclame 36 886 EUR au titre du préjudice matériel subi correspondant au montant des droits d’enregistrement, majorations et intérêts de retard jusqu’à la date de mise en recouvrement. Elle demande également le remboursement de 1 500 EUR qui est le montant de la condamnation prononcée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence dans son arrêt du 3 novembre 2005 au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Au titre du préjudice moral, la requérante réclame la somme de 100 000 EUR compte tenu de l’action de l’administration qui « l’a vilipendée et stigmatisée, entraînant une insécurité, une opprobre et un trouble anormal, caractérisant un dommage moral important ».
47. Le Gouvernement observe que la somme de 38 386 EUR réclamée par la requérante correspondant au montant des impositions en litige ainsi qu’au montant des frais irrépétibles qu’elle a été condamnée à verser. Sauf à détourner l’objet de la procédure devant la Cour, il considère que la satisfaction équitable ne saurait consister en un montant de dommages et intérêts susceptible d’annuler la charge d’impôt. Il estime par ailleurs que la somme réclamée au titre du préjudice moral est disproportionnée.
48. S’agissant du préjudice matériel, la Cour renvoie à son arrêt sur la satisfaction équitable dans l’affaire Association les Témoins de Jéhovah c. France (satisfaction équitable), no 8916/05, §§ 19 et 20, 5 juillet 2012 dans lequel elle a considéré dans des circonstances similaires à la présente espèce, que compte tenu du caractère illégal au regard de la Convention de l’ingérence litigieuse, il y avait lieu de faire droit à la demande de remboursement de la somme acquittée par l’association auprès du Trésor Public. Dans ces conditions, la Cour fait droit à la demande de restitution de la somme indiquée par la requérante et non contestée par le Gouvernement, soit 36 886 EUR. La Cour estime par ailleurs que la demande de remboursement des frais engagés au titre de l’article 700 du code de procédure civile relève des frais et dépens (paragraphe 52 ci-dessous).
Quant au préjudice moral, la Cour le juge suffisamment réparé par le constat de violation de la Convention auquel elle parvient.
B. Frais et dépens
49. La requérante demande également 4 313, 41 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 7 176 EUR pour ceux engagés devant la Cour, ainsi qu’une somme de 2 000 EUR correspondant à une estimation de frais de déplacement à Strasbourg. Elle produit trois notes d’honoraires datées de 2001, 2002 et 2004 établies par des avocats et deux notes d’honoraires établies par une SCP d’avoués.
50. Le Gouvernement observe que les notes d’honoraires produites ne sont pas précises et considère que la somme réclamée est disproportionnée. Celle éventuellement allouée à la requérante ne devrait pas excéder 5 000 EUR.
51. Selon la jurisprudence de la Cour, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002).
52. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 10 000 EUR au titre des frais et dépens exposés pour dénoncer la violation constatée dans le cadre de la procédure interne et devant la Cour.
C. Intérêts moratoires
53. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 9 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres griefs ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention
i) le remboursement de la somme indûment payée au Trésor public, à savoir 36 886 EUR (trente–six mille huit cent quatre‑vingt‑six euros) au titre du préjudice matériel ;
ii) 10 000 EUR (dix mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffière Président